dimanche 5 octobre 2008

Occitan et Béarnais : vers la “paix des braves” ?

L’Éclair, 27-28 septembre 2008


Occitan et Béarnais : vers la “paix des braves” ?


M. Bernard Dupont, Vice-président du Conseil général et élu du canton d’Arzacq, a reçu de l’assemblée départementale la charge de présider sa Commission Éducation-Culture. À ce titre, il est le premier responsable des actions du département en faveur de ce que le Conseil général est convenu d’appeler la langue béarnaise, gasconne et occitane, dans une énumération alphabétique qui lui évite d’afficher une préférence. Car il ne s’agit que d’une seule langue dont le nom de « gascon » est attesté depuis au moins 1313 dans un acte notarié concernant, heureuse coïncidence, le moulin de La Bastide Clairence, chef-lieu du canton dont l’élu est le Président même du Conseil général, M. Castaings. Mais on sait que depuis le milieu du XVIe siècle, « béarnais » s’est imposé pour désigner le gascon officiel du Béarn, et plus généralement tous les parlers gascons de la principauté. Ainsi, le Pasteur Arnaud de Salette nomme la « lengoa Bernesa » dans sa traduction des Psaumes (1583).
Cependant, du fait de la mention de « la langue occitane » dans la loi Deixonne du 11 janvier 1951, aujourd’hui abrogée, l’Éducation nationale a répandu l’appellation d’« occitan » dont le gascon ne serait qu’une variété. Peu importe que cette appellation ait été obtenue par un lobbying efficace et un vote sans débat des deux assemblées — pauvre démocratie ! — et qu’il y ait derrière elle toute l’idéologie qui voudrait créer une « Occitanie » séparée de la France : bien des enseignants et élus républicains l’adoptent les yeux fermés, tandis que d’autres citoyens, attachés à l’unité de la République et à leur langue historique, crient « holà ! ».
À cela s’ajoute l’adoption par la plupart des enseignants du système « occitan » d’écriture qu’un pharmacien languedocien a défini pour sa langue en 1935 et adapté tant bien que mal au gascon en 1952; mais les locuteurs béarnais et gascons, habitués à un système autochtone, n’ont pu se faire au nouveau. Aussi est-on loin de l’unanimité chez les tenants du gascon.
Or M. Dupont est un homme d’action qui a déjà fait ses preuves sur le terrain. Avec bon sens, il a invité à un repas convivial des adultes « élèves », qui des cours d’« occitan », qui des cours de « béarnais », et tout ce monde s’est parfaitement compris car ils parlaient bien la même langue… et ne l’écrivaient pas.
La difficulté tient au fait que si les soldats des deux camps fraternisent entre les tranchées, les états-majors campent sur leurs positions. Car au delà des idées pures qu’un débat ouvert et intelligent permettrait de rapprocher, il y a dans chaque camp des irréductibles qui ne veulent surtout pas écouter l’autre de peur de devoir reconnaître qu’il n’a pas tout à fait tort. C’est souvent le fait d’“anciens” incapables de revenir sur les idées qui ont séduit leur jeunesse ou leur âge mûr; et de “jeunes” qui ont adopté des idées séduisantes et n’ont pas encore pris le recul nécessaire pour s’informer et juger par eux-mêmes. Alors, d’un camp à l’autre, on se traite aimablement de « vieux c… » ou de « jeunes c… », tandis que le bateau coule.
Je veux croire néanmoins, avec M. Dupont, qu’il y a de part et d’autre des personnes sensées et des hommes d’action capables de voir les réalités en face et donc de s’entendre pour travailler ensemble.
Ainsi en est-il de ceux qui ont à enseigner la langue, notamment à des adultes : on ne peut leur raconter n’importe quoi. J’en ai fait l’expérience : entré en 1982 dans l’association occitane de Paris, j’en avais accepté le « credo », mais j’ai dû le réviser quand j’y ai été chargé du cours de gascon. Et le 25 juin dernier, ce journal publiait une intéressante déclaration du directeur du Centre de formation professionnelle en langue et culture occitanes (CFPOc) : au lieu de durer 10 mois à Béziers, la formation des « formateurs » se fera dès cette rentrée pendant 6 mois à Orthez, et seulement 4 à Béziers; c’est plus près quand on habite en Béarn « et même si le gascon y est enseigné, la première langue parlée et enseignée là-bas est le languedocien ». C’est dire sans équivoque que gascon et languedocien sont des langues différentes, et que les Béarnais se sentent plus à l’aise pour apprendre en béarnais qu’en languedocien.
Quant à la graphie, j’ai déjà une collection de coupure de presse qui affichent des graphies modernes en contexte « occitan », preuve que même les occitanistes en reconnaissent les qualités. Par exemple, quand on s’appelle « Jacou » et qu’on est incarcéré, les amis d’Anaram au patac déploient une banderole « Solidaritat dab lo Jacou » plutôt que le « Jacon » occitan (9 et 10 février 2008). Et une « garburade » (et non « garburada ») aide à financer la Calandreta d’Orthez (24 et 25 mai 2008).
De mon côté, j’ai proposé dans ma thèse des retouches à la graphie moderne de l’Escole Gastoû Febus, dont certaines viennent de la graphie « occitane ».
Il y a donc de l’espoir, continuez M. Dupont.
Jean Lafitte
Docteur en sciences du langage
(7 septembre 2008)
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