jeudi 2 février 2012

À l’école : enseigner les langues ou l’histoire des régions ?


À l’école : enseigner les langues ou l’histoire des régions ?
Sud-Ouest de ce jour nous offre, signé par M. Bruno Béziat, le bon article que voici :
http://www.sudouest.fr/2012/01/30/les-langues-regionales-au-tableau-619165-4329.php
Ecole : les langues régionales de plus en plus étudiées
On apprend de plus en plus les langues régionales à l’école. Mais le bilan de cette politique reste pour l’instant mitigé. Explications.
Rue de Grenelle, au cœur du système éducatif, on planche entre autres sur l’apprentissage des langues régionales. Le ministère de Luc Chatel commence à dresser le bilan d’une politique nationale plus favorable qu’autrefois à ces langues. Il s’agit de mieux faire connaître ce que l’État considère comme un « effort », dans une période électorale où chacun tente de séduire des publics très variés.
François Hollande a déjà promis de signer la Charte des langues régionales ou minoritaires. Des députés de tous bords (PS et UMP) ont proposé, l’an dernier, sans succès, de créer un cadre législatif plus précis et contraignant sur cet apprentissage, pour l’instant laissé à l’appréciation des académies. Quant au gouvernement, sans aller jusqu’à accepter un pilotage décentralisé de cette politique éducative, il a plutôt montré une certaine ouverture et affiche un bilan honorable.
Profs difficiles à trouver
Un peu plus de 400 000 élèves profitent aujourd’hui de l’enseignement d’une langue régionale. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Pour l’occitan, c’est 80 000 élèves au tableau sur le très vaste secteur géographique historique de cette langue du Sud, de l’Atlantique à 2 l’Italie en passant par l’Espagne. Pour le basque, il s’agit de 11 000 élèves. Mais, surtout, les ouvertures d’écoles bilingues sont régulières. « Il existe aujourd’hui 18 cursus en occitan et des projets de création de classes, mais je ne peux vous dire combien il y en aura », résume Bernadette Fournier, présidente des parents d’élèves des écoles bilingues d’Aquitaine.
Voilà pour l’aspect positif de ce dossier. Mais le bilan de l’apprentissage des langues régionales est bien plus mitigé que ces quelques chiffres encourageants. La première difficulté porte sur l’enseignant. La plupart du temps, il est difficile de trouver des professeurs qualifiés.
Il suffit d’une seule main pour compter les postes d’occitan au Capes. En Aquitaine, le recteur, Jean-Louis Nembrini, qui a défendu cette politique lorsqu’il dirigeait l’enseignement scolaire rue de Grenelle, se montre presque cinglant : « Que personne ne vienne me dire que l’État ne fait pas ce qu’il faut. J’ai la possibilité au budget d’ouvrir quelques postes. Mais j’attends les enseignants et les effectifs. » Bernadette Fournier tempère : « Pour les élèves, il y a de quoi ouvrir des classes. C’est vrai qu’il n’est pas facile de trouver des professeurs. Il faut aussi les motiver et les former. » Un problème qui s’accroît surtout dans le secondaire.
Décalage
On touche là du doigt le deuxième obstacle qui se dresse sur la route de l’apprentissage de l’occitan : le décalage entre la langue écrite, codifiée après-guerre, et la langue parlée, mais dont les formes sont variées : le gascon n’est pas le languedocien, et le patois des villages de Dordogne n’a qu’un rapport lointain avec le béarnais. Des jeunes ont parfois du mal à échanger avec leurs grands-parents. Autrement dit, apprendre l’occitan a-t-il un sens si l’on ne peut pas le parler dans la vie courante ?
David Grosclaude, conseiller régional aquitain délégué aux langues et cultures régionales, président de l’Institut d’études occitanes, balaie cet argument : « On nous ressort toujours cette histoire. C’est une langue codifiée qui a mille ans de littérature. C’est exactement la même chose pour le français. J’ai parfois du mal à comprendre quelqu’un du Nord ou un Québécois. Une langue est variée, elle évolue. La difficulté est que l’Occitanie est justement un territoire immense. Je me sens béarnais, mais je suis aussi occitan. »
Ses défenseurs soulignent aussi que 15 millions de personnes vivent en Occitanie, pour 2 millions environ qui comprennent cette langue. « Mais, souvent, ils ne la parlent pas parce que l’on a inculqué à toute une génération que l’on ne pouvait utiliser que le français. Il était honteux de parler patois. C’est quelque chose qui a été intériorisé », ajoute Bernadette Fournier. Reste qu’il existe un décalage entre la langue apprise et la possibilité de l’utiliser, bien davantage il est vrai en Occitanie qu’au Pays basque. Ce qui n’incite pas les élèves à poursuivre dans le secondaire et les jeunes enseignants à se professionnaliser dans cette langue. En Bretagne, Fanch Broudic a rendu un rapport sur l’enseignement du breton. Il montre notamment que les parents « sont souvent inquiets » lorsque leurs enfants poursuivent leurs études secondaires dans cette langue, d’autant qu’eux-mêmes ne la parlent pas.
Conséquence :
davantage de jeunes apprennent le breton à l’école, mais on le parle paradoxalement moins dans la vie de tous les jours.
Priorité à lʼanglais
Une situation à laquelle le Sud-Ouest n’échappe pas. Cette inquiétude des parents était concrète ces jours-ci dans des écoles du Béarn ou du Pays basque, où certains se sont publiquement opposés à l’ouverture de classes bilingues. Toutes les études montrent pourtant que les enfants de ces classes bilingues de langues régionales « ont de meilleurs résultats », rappelle Bernadette Fournier.
Mais pour beaucoup de parents, le bilinguisme passe en priorité par l’anglais, comme une déléguée le réclamait la semaine dernière dans une classe d’Orthez promise à l’apprentissage de l’occitan. Il n’est pas toujours facile d’être prophète en son pays.
Bruno Béziat
Mon commentaire
1 – Sur le texte
Pour autant que je sache, M. David Grosclaude a démissionné de ses fonctions de président de l’Institut d’études occitanes dès son élection comme conseiller régional, sur une liste menée par Europe-Écologie-Les Verts et grâce au scrutin de listes à la proportionnelle. On doit savoir que cet élu a fait de l’« occitan » son gagne-pain, essentiellement financé par les collectivités publiques ; s’il était entrepreneur de bâtiment plaidant pour la construction d’une moderne “cathédrale” bureaucratique, on le soupçonnerait sans doute de conflit d’intérêts...
Sur la désaffection à l’égard des langues régionales, je rappelle que la revue occitaniste de Béarn Per noste-Païs gascons affichait dès la fin de 1982 un dessin où un chasseur, voyant un vol de palombes passer au loin, constatait : « Elles n’entendent plus parler béarnais par ici, alors, elle se croient toujours ailleurs... ». La situation ne s’est pas améliorée, mais chacun trouve toujours de bonnes raisons pour en imputer la faute aux autres... et demander aux autres de financer le rétablissement de ces parlers délaissés.
On ne saurait oublier pourtant que la Révolution a combattu les « patois » comme vestiges d’un Ancien régime qui reposait sur la division du peuple en multiples provinces ayant chacune son parler populaire. Et le Gascon de Bigorre Bertrand Barère de Vieuzac, qui présida la Convention, fut à la pointe du combat contre elles, même s’il n’attaqua jamais nommément son gascon ancestral.
Quant à l’« Occitanie », que M. Béziat mentionne sans guillemets, elle n’eut d’existence officielle que comme nom latin (Occitania) de la province d’Ancien régime du Languedoc.
Ce sont les Français du Nord qui ont “étiqueté” « d’oc » les idiomes romans du Midi ; les territoires où on les parlait n’ont été réunis sous une même autorité que par la patiente politique des rois Capétiens étendant leur “pré carré”, jamais par la volonté des populations concernées, moins soucieuses des visées géopolitiques de leurs seigneurs que des « privilèges » qu’ils leur accordaient et des taxes et corvées qu’ils leur imposaient.
2 – Sur la photo
J’observe d’abord qu’elle est tirée des archives et non datée ; mais l’examen d’autres photos de classes et d’enseignants au tableau m’ont révélé, hélas ! un faible niveau de compétence, qu’on n’accepterait pas, je l’espère du moins, pour l’enseignement du français. Or ce sont des spécialistes de l’« occitan » qui forment les enseignants, et je ne puis que rappeler deux citations faites dans la thèse de 2005 :
– de Philippe Carbonne (« Post-scriptum », Lo Gai Saber n° 488, 2003, p. 390), professeur d’université en mathématiques, ancien président de l’I.E.O. et locuteur languedocien depuis son enfance :
« ...je m’aperçus qu’un enseignant d’occitan dans une université, donc quelqu’un qui forme les enseignants de demain, qui est aussi un romancier, ne respectait jamais la règle [de la place des pronoms dans un groupe de verbes] dans ses œuvres. [...]
« Quand j’entends un responsable de haut niveau de l’éducation nationale me parler de problème et y revenir plus d’une fois, je me dis qu’en fait de problèma, il y en a un gros [...] 1.
« Dans le manuscrit d’un écrivain aujourd’hui reconnu, qui est aussi professeur d’occitan, je vois “un jeune homme sous le calpre [{charme}, l’arbre !] d’une femme. ».
– d’Éric Gonzalès qui venait d’obtenir le CAPES d’« occitan » (Per noste-Païs gascons n° 163/164, 7-10/1994, Courrier des lecteurs, p. 20) :
« La connaissance de la langue n’est pas, me semble-t-il, appréciée et valorisée 1
Un Gascon pourrait cependant se justifier par proublèm du Dictionnaire de Palay, qui se prononce bien en -[e]. 4 convenablement par les jurys. On donne trop d’importance à la littérature [...]. Si c’est un honneur pour notre langue d’avoir une littérature, la langue vient en premier. J’ai discuté avec des gens qui ont passé le CAPES d’espagnol ou d’anglais et il m’a semblé que le CAPES d’occitan est encore plus littéraire que les autres CAPES de langue. [...] Veut-on que les professeurs d’occitan enseignent notre langue comme le latin ? »
Mais j’en viens à notre photo :
Au premier plan, je crois identifier, non une “ardoise” d’écolier volontairement agrandie, mais un tableau à fond blanc ligné en rose pâle, comme une page de cahier. La grande régularité des lignes d’écriture et la forme des lettres sont celles d’un adulte. C’est donc le maître qui a écrit la correction d’une « Dictada ». Avec les ratures, on est loin cependant d’un tableau écrit par un maître d’antan.
L’effectif ne semble pas dépasser les huit élèves. Je déchiffre le tableau blanc :
Dictada
Un cè??? sapient qu’assajava d’ensenhar las sciencias a ua serp qui non saveva pas arren. {un ?? savant essayait d’apprendre les sciences à un serpent qui ne savait rien}
En supposant que le texte provienne d’un manuel correctement noté, qui connait l’orthographe en graphie occitane remarque d’emblée que le maître est fâché avec les accents écrits et ne maitrise pas la notation du [β] en b ou v ; on doit en effet corriger ainsi :
...ensenhar las sciéncias a ua sèrp qui non sabèva pas arren.
Quant à la langue, c’est du bon gascon, mais même corrigé en sabèvi, savevi n’est pas béarnais, la forme de tout l’ouest gascon, du Sud de la Gironde au Béarn et même au Sud-ouest des Hautes-Pyrénées, étant sabè (Atlas linguistique de la Gascogne, V, 1662).
Voilà donc un enseignement qui, pour maintenir la langue vivante, n’est pas plus efficace qu’un cautère sur une jambe de bois, et qui s’avère même très médiocre pour la qualité de la langue enseignée.
3 – L’enseignement que je souhaite
Pour le gascon d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, comme pour toutes les langues historiques des autres régions de France, le réalisme me conduit à préconiser avant tout un enseignement aussi vivant que possible de l’histoire du pays, en relation avec les lieux et les monuments ; il devrait être assorti d’une initiation à la langue par les chansons et l’étude de textes des diverses époques, et notamment, pour le gascon et sa variante béarnaise, des œuvres si belles que nous ont laissées les Félibres : c’étaient pour la plupart des locuteurs habituels de la langue, mais qui par leur culture et leur intelligence surent la porter au niveau littéraire.
Or comme pour le français, l’anglais ou l’espagnol, la langue et l’histoire béarnaises et gasconnes — pour ne parler que d’elles — devraient faire l’objet d’études et recherches au plus haut niveau, de manière à pouvoir former des enseignants compétents tout comme à offrir au public des ouvrages de vulgarisation sérieuse. Car sauf exception, l’expérience que chacun peut avoir de la langue est limitée à un étroit territoire et à la période contemporaine, et nous n’avons pratiquement aucune connaissance historique — Henri IV et la poule au pot ou la gousse d’ail du baptême, c’est peu, et de la légende ! — bien moins que ce que nous avons appris sur le français et l’histoire de France.
Jean Lafitte
30 janvier 2012

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