dimanche 17 mai 2009

Garder et transmettre la langue et la culture du Béarn et de la Gascogne


Message du 16 mai 2009 adressé à J. Lafitte sous le titre de « Témoignage »

Bonjour,


C'est avec attention que j'ai pris connaissance des enjeux et du danger qui guette la conservation et la promotion de la langue, et, plus globalement, de la culture gasconne.


Vos textes et vos alertes, transmis via le net, reflètent en effet la réalité du "terrain".

Moi même originaire de la région paloise, je me suis rendu la semaine dernière dans mon cher Béarn.


J'ai pu constater, effectivement, que certaines personnes de la région du nord de Pau (Lalonquette, Thèze..), essentiellement des agriculteurs, comprennent et parlent ce qu'ils nomment volontiers le "patois" qui est bien évidemment le béarnais.Moi-même apprenant la langue béarnaise, j'ai pu réutiliser des phrases et expressions ou même simplement des mots appris dans l'ouvrage de JM Puyau ("comprendre, parler, lire, écrire le béarnais"). J'ai donc pu bien évidemment constater que la langue apprise et enseignée par l'IBG est bien la langue authentique du Béarn. Je pense que cette survivance de notre langue dans un état pourtant réputé jacobin et centralisateur témoigne, s'il en était besoin, de la force et de la réalité d'une culture et d'une identité gasconne, même si celle ci peut dépasser le seul domaine linguistique.


Je me suis également rendu en Bigorre, et, j'ai fait le même constat que vous : face à une réalité de l'existence d'un patois gascon authentique encore parlé semble-t-il en campagne, je me suis vite rendu compte que ce qui paraît être enseigné dans la région concernant les langues locales, est l'occitan..


Je ne comprend donc pas comment on peut enseigner une langue, à savoir l'occitan, dans une région qui ne l'est manifestement pas et qui, pis, possède bien une langue qui lui est propre, à savoir le gascon plus communément appelé, dans la région, le "patois". La Gascogne n'a pas besoin d'un occitan en guise d'espéranto. Quel est l'intérêt d'enseigner une langue occitane qui n'est pas comprise par les authentiques "autochtones" gascons ?

En effet, il me semble bien que l'article de la constitution défendant les langues régionales s'applique bien au gascon et non pas à un occitan universitaire qui n'a pas de réalité vécue dans la population.


Il est donc révoltant de constater, selon les mels que vous me faites parvenir, que les occitanistes aient le soutien des élus locaux. Qu'en est-il de l'IBG, de son influence éventuelle auprès des élus ?La spécificité de la langue gasconne s'expliquant notamment par son substrat aquitanien, doit être promue auprès de la population et présentée comme un élément pérenne et authentique de notre région, qui, ne l'oublions pas, a également une histoire distincte de l'Occitanie, l'exemple du Béarn est éloquent à ce titre.


Il convient dès lors de mobiliser toutes les bonnes volontés en ce sens et d'informer les élus sur la nécessaire conservation de notre patrimoine régional qui inclut notamment la langue qui, ne l'omettons pas, disposait d'un statut officiel de langue d'état jusqu'au XVII ème siècle en notre cher pays de Béarn.


Mais, combien sommes nous face aux occitanistes ?


Continuons,

En daban ! Adichat,

[signature]


Réponse de Jean Lafitte le 17 mai [rectifiée le 18 mai]

Je réponds aux questions soulevées ou posées dans l’ordre du message reçu :

1 – État “jacobin” et conservation du gascon

« Je pense que cette survivance de notre langue dans un état pourtant réputé jacobin et centralisateur témoigne, s'il en était besoin, de la force et de la réalité d'une culture et d'une identité gasconne, même si celle ci peut dépasser le seul domaine linguistique. »

L’état “jacobin” est un produit de la Révolution, elle-même fille du courant de pensée du « siècle des Lumières » ou des « Philosophes » du XVIIIe siècle. Les Girondins ou Brissotins étaient aussi centralistes que les Montagnards ou Jacobins, même si la fausse accusation de « fédéralisme » proférée contre eux par ces derniers est à l’origine de l’idée reçue qu’ils s’opposaient à la centralisation. Et s’ils étaient plus libéraux que les Montagnards en matière politique et économique, ils ont participé à la création des départements qui ont fait disparaître les provinces de ce que l'on a appelé péjorativement l’« Ancien Régime ».

Ces Provinces jouissaient en effet de « privilèges » — on dirait aujourd’hui « libertés » — avec leurs États et les Parlements qui rendaient la justice sur la base des ordonnances et édits royaux qu’ils avaient préalablement « enregistrés » : le refus d’enregistrer aboutissait souvent à des modifications de ces textes. Cela n’était pas supportable pour les Révolutionnaires, qui y voyaient un frein au changement qu’ils comptaient imposer au pays.

Aussi, sous la Révolution, n’y eut-il en fait personne pour défendre les « identités régionales » (on aurait dit alors « des provinces »), vestiges de l’Ancien Régime. C’est là un fait historique essentiel qui explique sans doute la faible résistance des autres langues historiques au sein de l'État français, à la différence de ce qu’on connu les états voisins.

Napoléon Bonaparte a trouvé la formule excellente et organisé en conséquence l’État (Consulat et Empire). Les régimes qui lui ont succédé ont fait de même, jusqu’aux timides lois de décentralisation de la fin du siècle dernier.


Au plan linguistique, la “centralisation” s’est faite toute seule sous l’Ancien Régime, par le fait que les élites de toutes les provinces ont jugé profitable d’adopter le français; l’ordonnance générale sur le fait de la justice, police et finances d’aout 1539 dite « édit de Villers-Cotterêts », dont l’article 111 impose le français pour les actes produits en justice, n’a fait qu’entériner une évolution déjà accomplie ; ce fut magistralement démontré par Auguste Brun dans sa thèse de 1923, incontestée depuis, Recherches historiques sur l’introduction du français dans les provinces du Midi. Mais cela ne concernait que la sphère publique, alors que la vie intellectuelle se faisait principalement en latin : bien avant les écoliers de la IIIe République, l’élève d’un collège du XVIe s. surpris à parler français au lieu du latin obligatoire recevait un « signal » qu’il passerait au premier compagnon qu’il surprendrait en faute etc. Il a fallu Descartes pour que le français s’empare de la philosophie ! Et la vie de tous les jours se faisait dans les multiples langues naurelles (dites savamment “vernaculaires”).

Mais ce que je viens de dire du français se reproduisait dans le Royaume de Navarre, qui avait pour souverain le vicomte de Béarn depuis 1481 : la vie intellectuelle était en latin, la vie publique en béarnais, et la vie de tous les jours en basque ou en béarnais suivant les secteurs. Les dispositions de l’« édit de Villers-Cotterêts » avaient leur équivalent en Béarn-Navarre, au profit du seul béarnais.

Mais le français était la langue de prestige, comme en témoigne cette chanson de De Mesplès (1729-1807) où la bergère dit son admira­tion pour son berger qui « sap parla plân lou francés », sait bien parler le français.

Quant à la conservation du gascon / béarnais dans les familles rurales, il ne faut pas s’illusionner. Certes, jusqu’au XVIIe s. inclus, les Gascons ont eu une conscience claire de leur identité gasconne et du nom de leur langue, gascon, et les Béarnais n’ont jamais cessé de se sentir Béarnais ; mais, ce n’est pas parce que les locuteurs avaient une conscience particulière d’une culture propre qu’ils ont gardé leur langue ; c’est parce que c’était celle de la vie et du travail dans un milieu dont les techniques de production évoluaient peu, au rythme des siècles, sans importation massive et répétée de techniques nouvelles, toutes assorties de vocabulaires nouveaux que la langue autochtone se contenterait d’adapter : le “tracteur” qui aurait dû être un tractou en gascon authentique (cf. “pasteur” / pastou) était nommé tractur par simple adaptation phonétique, etc.

Et cela ne fonctionnait que dans le cercle du village ou du canton. Dès qu’il fallait aller en ville, le français s’imposait, et de même dans les relations — encore rares — avec les administrations, ou les notaires.

N’oublions pas cependant que ce recul du béarnais / gascon devant le français, langue de prestige et de communication à distance — langue “véhiculaire” dit-on savamment — avait été précédé au Moyen Âge, pour les mêmes raisons, par semblable recul du basque devant le gascon au Nord des Pyrénées, jusqu’au delà de Saint-Sébastien.

2 – Enseignement : langue autochtone ou “espérantoccitan” ?

« Je me suis également rendu en Bigorre, et, j'ai fait le même constat que vous : face à une réalité de l'existence d'un patois gascon authentique encore parlé semble-t-il en campagne, je me suis vite rendu compte que ce qui paraît être enseigné dans la région concernant les langues locales, est l'occitan.

« Je ne comprend donc pas comment on peut enseigner une langue, à savoir l'occitan, dans une région qui ne l'est manifestement pas et qui, pis, possède bien une langue qui lui est propre, à savoir le gascon plus communément appelé, dans la région, le "patois". La Gascogne n'a pas besoin d'un occitan en guise d'espéranto. Quel est l'intérêt d'enseigner une langue occitane qui n'est pas comprise par les authentiques "autochtones" gascons ? »

Ce que je sais de l’« occitan » enseigné en Bigorre, et plus généralement dans les Hautes-Pyrénées, c’est que c’est, au moins dans l’intention sincère et affichée des enseignants, un authentique gascon du crû. Au point qu’un ami professeur d’« occitan » originaire de Biscarrosse et muté à Vic-en-Bigorre avait été sérieusement chapitré par un ancien, pour qu’il enseigne le gascon du lieu, pas celui de Biscarrosse !

Mais prisonniers de l’idéologie occitaniste et encadrés durement par des inspecteurs académiques acquis à l’occitanisme, les enseignants usent de la graphie occitane et appellent leur gascon « occitan ».

Je crois bien aussi qu’il en est de même en Béarn, même si c’est avec peut-être moins de conviction “autochtone” que dans les “Hautes”.

Allié au fait que beaucoup d’enseignants ont appris la langue dans les livres et en cours universitaires fortement occitanisés, cela préjudicie gravement à l’efficacité de l’enseignement dispensé et encore plus à sa réception par la société des locuteurs. La réflexion de l’ami correspondant en témoigne. Pour plus de détails, voir l’Annexe I.

3 – La garantie constitutionnelle

« En effet, il me semble bien que l'article de la constitution défendant les langues régionales s'applique bien au gascon et non pas à un occitan universitaire qui n'a pas de réalité vécue dans la population. »

Tout à fait juste ! « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » dit le nouvel article 75-1 de la Constitution. Or le « patrimoine », c’est l’ensemble des biens d’une personne, et par extension, ce qu’elle transmet à ses héritiers; vu par ceux-ci, c’est l’héritage reçu de ses ancêtres, pas une construction universitaire. Voir en Annexe II une parfaite illustration du point de vue universitaire sur l’« occitan ».

4 – L’avance des occitanistes

« Il est donc révoltant de constater, selon les mels que vous me faites parvenir, que les occitanistes aient le soutien des élus locaux. Qu'en est-il de l'IBG, de son influence éventuelle auprès des élus ?

[…]

« Mais, combien sommes nous face aux occitanistes ? »

Les occitanistes béarnais puis gascons ont d’abord été des enseignants amoureux de leur langue ancestrale, qui n’ont trouvé que l’occitanisme sur leur route quand ils ont voulu installer au pays l’enseignement scolaire autorisé par la loi “Deixonne” du 11 janvier 1951. Mais si leur profession leur permettait une action efficace dans ce sens, elle les a desservis par une tendance forte à se fermer sur elle-même, ses méthodes, ses solidarités, ses hiérarchies, ses syndicats, perdant finalement le contact avec les locuteurs naturels qui avaient transmis la langue dans les familles jusque vers les années 1950.

Cette perte de contact a été aggravée par l’adoption de la graphie occitane, conçue à l’origine par deux instituteurs languedociens, Prosper Estieu (1860-1939) et Antonin Perbosc (1861-1944) pour qui le problème de la transmission de la langue ne se posait pas et qui imaginaient qu’en écrivant à la façon des troubadours, ils allaient refonder une langue littéraire qui brillerait comme celle de ces derniers aux XIIe et XIIIe s. L’affaire fut reprise en mains par le pharmacien audois Louis Alibert (1884-1959), latinisant et doté d’un diplôme universitaire d’études méridionales obtenu comme étudiant de J. Anglade; son but restait de fonder une langue littéraire de l’ensemble du Midi, car la question de la transmission de la langue ne se posait toujours pas quand il publia à Barcelone sa Gramatica occitana segón los parlars lengadocians (1935-37).

Professeur à ce qui deviendrait le lycée d’Orthez, le Béarnais Roger Lapassade (1912-1999), était à la tête de ces enseignants béarnais devenus occitanistes, et malgré des réticences qu’il n’a pas cachées au fil de ses écrits, il a adopté cette graphie présentée comme scientifique et authentique, apte à rendre à la langue sa « dignité ».

Voici ce que j’en ai écrit dans ma thèse :

« […] Dès le n° 1 de la revue Per nouste de juin 1967, p. 12 bis, […] le “corporatisme” affleure quand les enseignants qui président à ses destinées présentent ainsi un poème écrit en graphie moderne des Félibres :

« Nous publierons dans ce bulletin des textes dans les deux graphies. Nous ne cachons pas, en tant qu’enseignants, notre préférence pour la graphie normalisée en usage dans les Universités - à la fois plus claire et plus logique. »

« L’usage universitaire est donc mis en premier, sans doute parce que le mot “université” est tout auréolé de prestige pour ces enseignants du secondaire — on est un an avant la contestation massive de mai 1968 — et les qualités de la graphie “normalisée” sont affirmées, sans preuve particulière. À la vérité, mis à part M. Grosclaude, ce sont tous des béarnophones de naissance, qui ont une connaissance intime de la langue à laquelle ils sont profondément attachés […]; ils ne se sont donc pas méfiés des pièges que cette graphie tendraient bientôt à de moins experts.

« Une page de ce même numéro, Comment lire le gascon (pp. 16-17), limitait en effet à trois règles ce qu’un gasconophone a besoin de savoir pour s’y retrouver. Pourtant, cela dut créer un choc parmi les premiers lecteurs béarnophones, dont témoigne en particulier un billet publié dans le numéro suivant. Il émane d’une vieille mercière d’Orthez, héritière d’une lignée d’écrivains béarnais célèbres […], membre elle-même de l’Escole Gastou Febus depuis 1921 (Reclams de Biarn e Gascougne n° 5, May 1921, p. 80) et certainement pourvue d’un bagage littéraire enviable :

« Je ne sais pas du tout pourquoi ceux de PER NOUSTE écrivent en Français d’aujourd’hui, et non pas en latin, ou ne parlent pas comme le défunt Turoldus 1. Il faut savoir ce que vous voulez : le parler béarnais de tous les jours comme il se parle en différents lieux et s’écrit de même avec ses particularités qui changent d’un endroit à l’autre, ou si vous voulez revenir “aux sources savantes” [en français dans la lettre] pour mieux se faire comprendre de Vladivostock à Quimperlé avec un espéranto sans saveur. Avec ça, merci quand même de laisser une petite place à ceux qui ne sont ni instituteur, ni professeur, et qui ne savent lire que de l’écriture, et non pas de la “graphie”. Je vous salue, Maitre, et portez-vous bien toujours. » (Marguerite Lafore, rue des Jacobins, Orthez, Per nouste n° 2, Oct. 1967, Courrier des lecteurs, p. 23; traduit du béarnais.)

« Malheureusement, les dirigeants de Per nouste ne surent pas entendre cet avertissement et jugèrent sans doute qu’avec quelques explications, leur message finirait par passer. M. Grosclaude fut donc chargé de présenter la nouvelle graphie dans ce même n° 2 de la revue, les Béarnais béarnophones de l’association ayant apparemment jugé plus importante la compétence supposée de ce Lorrain qui avait suivi des stages que la connaissance intime qu’ils avaient eux-mêmes de leur langue ancestrale. »

Mais comme l’autisme est souvent l’infirmité de ceux qui se croient investis d’une mission supérieure, l’occitanisme béarnais et gascon a continué imperturbable sur son erre, sauf à perdre de temps en temps quelques lucides qui ont fini par découvrir l’erreur et décidé courageusement de quitter ce navire en perdition. Lapassade fut lucide, mais trop âgé pour avoir le courage d’une telle rupture. Il a néanmoins laissé transparaitre sa déception dans le poème Drapèus arlats (Drapeaux mités) daté du 24 juin 1994 et placé en tête de son dernier recueil La Cadena (1997) : des trois drapeaux qu’il a suivis dans sa vie, deux l’ont trompé, le sang et or (occitaniste à la croix de Toulouse) et le tricolore; « seul le carré béarnais […] et ses deux vaches rouges dans l’or du blé mûr » ont réjoui son cœur.

Or depuis bientôt 50 ans que des occitanistes militent en Béarn, ils ont fini par se faire entendre et par convaincre les élus — peu ou pas informés — qu’ils détenaient la vérité scientifique et que ceux qui pensaient différemment étaient dans l’erreur, voire d’affreux réactionnaires liés aux partis de droite extrême.

En face nous avons l’Institut béarnais et gascon, né en 2002 par succession à Pays de Béarn et de Gascogne fondé en 1995 pour réagir au coup de force qui a abouti à créer l’Institut occitan de Pau à la place de l’« Institut culturel béarnais et gascon » que les élus du département avaient promis, à l’image de l’Institut culturel basque.

Grâce au dévouement d’une poignée de gens décidés, et outrés de voir leur langue sacrifiée, l’I.B.G. s’étoffe peu à peu et commence, avec très peu de moyens, à faire entendre sa voix. Mais on ne rattrape pas en quelques mois 50 ans de propagande auprès des élus et des journalistes qui ont d’autres préoccupations que de se renseigner personnellement sur les questions complexes de langue régionale…

5 – Ne pas baisser les bras, ils sont dans l’erreur

« La spécificité de la langue gasconne s'expliquant notamment par son substrat aquitanien, doit être promue auprès de la population et présentée comme un élément pérenne et authentique de notre région, qui, ne l'oublions pas, a également une histoire distincte de l'Occitanie, l'exemple du Béarn est éloquent à ce titre.

« Il convient dès lors de mobiliser toutes les bonnes volontés en ce sens et d'informer les élus sur la nécessaire conservation de notre patrimoine régional qui inclut notamment la langue qui, ne l'omettons pas, disposait d'un statut officiel de langue d'état jusqu'au XVII ème siècle en notre cher pays de Béarn.

[…]

« Continuons, »

Oui, vous avez tout à fait raison, cher ami correspondant. J’aurai bientôt 79 ans, et je vois en vous, et plusieurs autres des nouvelles générations d’actifs, l’espoir d’un véritable soulèvement contre la désinformation, le double langage, et la captation des deniers publics sans aucun contrôle des résultats quant à la pratique de la langue.

Mais il nous faudra beaucoup de courage pour être lucides et réorienter les actions pour notre langue et notre culture : la loi Deixonne est arrivée 50 ans trop tard, juste au moment où les parents renonçaient à transmettre à leurs enfants une langue jugée dépassée pour la réussite dans le monde moderne.

Or cet enseignement scolaire, que Mistral appelait déjà de ses vœux le 21 mai 1877, dans son discours de la Sainte-Estelle d’Avignon, ne pouvait être efficace que pour « grammatiser » la pratique d’une langue maternelle et ouvrir les enfants sur sa littérature. Y recourir après 1951 pour suppléer la transmission familiale aurait pu encore être utile tant que les parents et l’environnement social des élèves parlaient la langue… à condition de n’enseigner qu’une langue facilement reconnaissable par ces adultes, y compris dans son écriture.

En changeant le nom, l’emballage (graphique) et le contenu du pot, on a coulé les ventes du yaourt linguistique (cf. Annexe I).

Et aujourd’hui, même en redressant tout cela, prétendre revitaliser la langue par l’école est totalement illusoire et n’aboutit qu’à jeter l’argent public par les fenêtres; seuls y gagnent des enseignants coupés du monde et heureux de leur sort, avec des petites classes pas trop chargées et des contrôles limités à la vérification de l’orthodoxie occitane, comme quand tel inspecteur reprochait à un enseignant provençal d’employer « lou lapin » au lieu de « lo conilh », totalement ignoré des Provençaux !

Il faut absolument réorienter cet enseignement scolaire dans le sens de la découverte de l’histoire du pays, appuyée à partir du XIIIe s. sur des textes d’époque que quelqu’un qui découvre la langue n’a pas plus de mal à comprendre qu’un conte de Lalanne ou de Camélat. Et à partir de ces sources historiques, on descend le cours des siècles et on arrive à la langue moderne, comme on passe de la traite à la main aux trayeuses électriques.

Bien sûr, cela suppose une formation des enseignants autre que celle que leur dispense l’Université, bourrée de langue de Troubadours qui n’ont jamais écrit en gascon, si l’on en juge par ce qui nous est parvenu. Avec par exemple beaucoup de travaux pratiques sur les cartes de l’Atlas linguistique de la Gascogne, pour découvrir la langue gasconne et béarnaise telle qu’elle était prononcée entre 1940 et 1960, dans son unité et sa variété.

Belle occasion de mettre « l’imagination au pouvoir », comme on l’écrivait sur les murs de mai 1968 ! Mais est-on encore capable de passer des slogans aux actes ?


A vous, lous joéns, de v’amuxa clavedéns e hardits !



ANNEXE I

Extrait du hors série de Ligam-DiGaM La langue gasconne –

novembre 2007, révisé mai 2009

§ IV - Le nom de la langue : “gascon”

Attesté depuis près de 700 ans

Le nom de gascon désigne la langue propre de Gascogne depuis au moins 1313, date d’un acte en gascon dressé par le notaire royal de Garris et aujourd’hui conservé aux archives royales de Navarre à Pampelune.

Et depuis, cette langue de Gascogne n’a jamais cessé d’être appelée ainsi, et notamment par l’illustre Gascon que fut Michel de Montaigne, et même par le Bordelais Pierre Bernadau qui n’avait que ce mot pour nommer le « patois » de Bordeaux et de sa région dans le cadre de l’enquête de l’abbé Grégoire en 1790.

Or depuis quelques temps, l’occitanisme veut le remplacer par celui d’« occitan de Gascogne »; d’abord, l’expression est tautologique (ou “se mord la queue”), puisque la Gascogne a tellement changé de frontières au cours des siècles qu’on tend à la définir aujourd’hui comme le domaine du gascon !

Mais pire encore, cette nouvelle désignation ne peut qu’accélérer la mort de la langue, comme le fera vite comprendre une histoire récente de yaourts : une loi nouvelle réservant l’appellation de « bio » aux produits de l’agriculture biologique, la firme Danone a dû changer le nom de ses yaourts « Bio » et a choisi de les renommer « Activia »; elle a donc été contrainte à une couteuse campagne publicitaire pour convaincre les consommateurs que le produit restait le même, sous un emballage inchangé.

Pendant ce temps, l’occitanisme change à la fois le nom du gascon, son emballage, c’est à dire son système d’écriture, et le “produit” lui-même.

Or les Catalans nous ont montré le chemin : dès 1935, ils ont solennellement signifié aux occitanistes que leur langue n’était pas de l’occitan et qu’elle aurait tout à perdre de ne pas s’afficher sous son nom ancestral et d’être confondue avec les parlers d’oc de la France. Et comme les Catalans sont forts et riches, on ne les a pas contredits. Il en est de même des quelque 5 000 locuteurs du Val d’Aran qui appellent aranais leur dialecte gascon.

Or en 1989, J.-M. Sarpoulet, aujourd’hui responsable des langues régionales au Rectorat de Bordeaux, pouvait écrire dans la revue occitaniste Amiras (n° 20, p. 52) :

« si nous sommes plus Ossalois ou Aspois que Béarnais, nous sommes plus Béarnais que Gascons… (De toute façon, l’Occitan, lui, est inconnu comme point du schéma ethnique) ».

En négatif, interviewé au terme de son contrat, le premier directeur de l’Institut Occitan de Pau reconnaissait que sous ce nom, l’Institut était ressenti comme étranger par les Béarnais et Gascons (Sud-Ouest, 7 août 2003).

C’est dire que rien ne remplace une telle marque identitaire pour attacher une population à sa langue héréditaire; l’abandonner dans le contexte actuel, c’est mener la langue à sa perte.

mais concurrencé par « béarnais» en Béarn

« nous sommes plus Béarnais que Gascons » écrivait à juste titre M. Sarpoulet en 1989. Nous ne devons pas oublier en effet que la quasi indépendance politique de la vicomté de Béarn lui a valu non seulement d’user de son gascon comme langue de l’administration vicomtale et des notaires, mais encore a solidement établi dans l’esprit des Béarnais le sentiment d’une identité distincte de celle des Gascons; et de même pour leur parler, qui se continue pourtant sans changement quand on franchit les anciennes frontières de la vicomté.

L’Annexe IV, pp. 53-56, fait le point de la question, et conclut : autant il est raisonnable de conserver le nom de béarnais pour le gascon du Béarn, autant il serait déraisonnable d’y voir une langue détachée de l’ensemble gascon.

ANNEXE II

Extraits d’un article de X. Lamuela (1988)

et des commentaires de J. Lafitte (mai 2009)

1 – Extrait d’un article du Pr. Catalan Xavier Lamuela (1988)

Par message du 13 mai 0:01 intitulé Un extrait éclairant du livre d’Henri Barthés, j’ai diffusé les 48 dernières pages des Études historiques sur la « Langue occitane » de M. Henri Barthés, authentique Languedocien qui ne s'est jamais senti « Occitan ». Eût-il été mauvais, cet ouvrage aurait laissé tout le monde indifférent.Mais son sérieux et l’accumulation de citations d’auteurs de toutes sortes, historiens et linguistes notamment, qui venaient étayer le propos de l’auteur ont obligé les occitanistes à réagir, et souvent méchamment, sans qu’il y ait grand monde, au Félibrige notamment, pour prendre la défense de ce Félibre.

Le hasard d’une recherche dans ma collection de Reclams, la revue de l’Escole Gastoû Fébus, m’a fait retrouver la critique de ce livre qu’y avait publié le Catalan Xavier Lamuela, aujourd’hui professeur à l’université de Girone : Es diferentas concepcions dera lenga d’òc (Henri BarthésÉtudes historiques sur la « Langue occitane »”, Reclams, Seteme 1988 – 7/9, pp. 130-138.

Les deux premières pages, sorte d’exposé liminaire, justifient le nom d’« occitan » pour l’ensemble des parlers d’oc de France et l’incomparable valeur de la graphie unitaire de l’I.E.O. Sur le premier point, l’auteur cite le Pr. Joseph Anglade, qui mourut en 1930 comme titulaire de la chaire de langue et littérature méridionales de l’Université de Toulouse :

« Il semble que, au moins pour désigner l’ensemble des dialectes modernes du Midi de la France, il serait temps de renoncer à ce mot de provençal, qui ne peut prêter qu’à la confusion, (…). Le terme occitan, occitanique, occitanien ou tout autre de ce genre conviendrait parfaitement pour désigner l’ensemble des dialectes d’Oc; et si ce terme n’a pas pour lui la consécration de l’histoire et surtout de l’usage, il l’obtiendrait facilement ». (ps. 10-11). »

Et X. Lamuela de poursuivre (en aranais, que je traduis ici) :

[131] Et de notre temps il l’a obtenue complètement. Pour le voir, il suffit d’un coup d’œil à la bibliographie internationale sur la langue d’oc :

Frede Jensen, The Syntax of Medieval Occitan (Tübingen 1986).

Georg Kremnitz, Das Okzitanische. Sprachgeschichte und Soziologie (Tübingen 1981).

Iona Vintilä-Rädulescu, Introducere ín studial limbit occitane (provensale) (Bucuresti 1981).

Le livre de Silvio ELia Preparaçao à linguistica românica (Rio de Janeiro 1974) porte : « A linha que atualmente separa o provençal (langue d’oc, occitânico) do francês (…) ». (p. 154).

La Nuova introduzione alla filologia romanza (Bologna 1985) di Lorenzo Renzi énumère ainsi les langues romanes : « Il portoghese; lo spagnolo; il catalano; il francese; l’occitanico; il franco-provenzale; il sardo; l’italiano; il romancio, il ladino e il friulano; il dalmatico; il rumeno » (p. 161).

Le chapitre 7 du manuel préparé par Martin Harris et Nigel Vincent The Romance Languages (London 1988), écrit par Max W. Whecler, s’appelle Occitan (ps. 246-278).

La diffusion d’un nom unitaire et sans ambigüité est fondamental pour la promotion actuelle de la langue entre les habitants de son domaine linguistique.

2 – Extrait des commentaires de J. Lafitte (Mai 2009)

Sollicitude catalane

[…] cet article vient d’un linguiste catalan, professeur à l’université de Gérone.

Voilà donc un Catalan, fier de rappeler que le catalan est une langue distincte de l’occitan, qui vient donner des leçons aux Français du Midi sur la façon de gérer leurs parlers ancestraux. Dans son exaltation de la graphie occitane, il va même jusqu’à rappeler comme une de ses gloires qu’« au XIIIe siècle la chancellerie portugaise, poussée par le prestige des troubadours et par la rationalité de ces conventions, adopta les graphies lh et nh, qui sont encore les graphies habituelles dans cette langue. » Mais alors, pourquoi les Catalans font-ils bande à part avec leur ll castillan et leur ny ?

Une autre contradiction, et qui n’est pas des moindres, est le choix linguistique de Xavier Lamuela pour son article. Celui-ci portant sur un livre écrit en français par un Languedocien, on aurait pu penser que l’auteur choisirait pour s’exprimer le français ou le languedocien ; à la rigueur le béarnais, langue majoritaire dans la revue Reclams où il serait publié. Eh bien ! non. Il écrit en aranais, parler gascon fortement marqué par le catalan et qui n’est en usage que dans le Val d’Aran, qui doit compter quelque 6 000 habitants ; tout en y apportant quelques modifications pour rejoindre le gascon général, comme il s’en explique en une note finale. Qu’est donc devenu son discours pour une langue qui s’acheminerait vers l’unité, de Bayonne à Nice et de Salses à Montluçon ?

[…]

Mais plus profondément encore, ce professeur vit sur un petit nuage. L’« occitan » est pour lui une matière d’études et d’enseignement universitaires, pas la langue vivante que des gens en chair et en os ont apprise de leurs parents et parlent encore dans la vie courante. Est à cet égard symptomatique le fait que pour montrer la “réussite” du vocable « occitan », il ne cite qu’une série d’ouvrages universitaires tous écrits par des professeurs étrangers à la France — a fortiori aux terres d’oc ! — et publiés à l’étranger. Lui qui est si prompt à dénoncer l’incompétence linguistique d’H. Barthés, a-t-il jamais entendu parler de cette discipline qu’on nomme la sociolinguistique, et dont le B.A. BA est qu’on ne sauve pas une langue sans le peuple qui la parle ?

[…]

L’arroseur arrosé ?

D’emblée, au moment d’aborder la critique de l’ouvrage d’H. Barthés, X. Lamuela définit la « curieuse […] méthode » de l’auteur en une « combinaison […d’] éléments » dont la « citation partielle ». Je n’ai pas su voir qu’il en donne des exemples, mais j’ai pu constater qu’il n’échappe pas lui-même au reproche : il fait en effet référence au rapport — qu’il appelle « article » — de Pierre Bec « “Per una dinamica novèla de la lenga de referencia : Dialectalitat de basa e diasistèma occitan”, (Annales de l’Institut d’Etudes Occitanes, 4é série, 6, 1972, ps. 39-61 ». Or après avoir défini l’« occitan » par ses grands « dialectes », dont le gascon en dernier lieu, P. Bec s’empresse de l’écarter : « que nous laisserons de côté dans ce rapport » (p. 41). Et il nous en dévoile la raison un peu plus loin : « il s’agit […] en fait d’une langue très proche, certes, mais spécifique (et ce dès les origines), au moins autant que le catalan. » (p. 47). C’est là une sacrée brèche dans l’unité occitane ! Mais X. Lamuela n’en dit mot.

[…]

1 [Note de Mai 2009] Pour ceux qui en savent moins que cette dame, « Turoldus est le nom qui figure au dernier vers de la plus ancienne rédaction de la Chanson de Roland (manuscript d’Oxford), composé dans un dialecte anglo-normand vers 1090 : “Ci falt la geste que Turoldus declinet”. Cette phrase est sujette à de multiples interprétations. Signifie-t-elle que Turold en est l'auteur ? Est-il simplement le copiste du manuscrit ? Est-il l’auteur même de la rédaction d’Oxford ou d’une de celles qui l’ont précédée ? […] » (Wikipedia).

Jean Lafitte 17 et 18 mai 2009


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