dimanche 14 mars 2010

Petite chronologie de Lingua de hoc à Occitanie

Petite chronologie de Lingua de hoc à Occitanie

Il s’agit dune chronologie linguistique, qui prend en compte les formes rencontrées, leur langue, la région où elles apparaissent, la qualité de celui qui en use (autorité publique et ses secrétaires, notaire ou clerc de fonctions équivalentes, historien ou poète) et le sens qu’il lui donne (obtenu le plus souvent par conjectures, d’après l’histoire du contexte social où apparait l’occurrence).

HGL renvoie à l’Histoire générale de Languedoc de Dom Cl. Devic et Dom J. Vaissète, Toulouse : Privat, 1874 à 1902, et spécialement les volumes de preuves : pour 1271-1443, t. X, 1885; pour 1443-1789, t. XII, 1889 et t. XIV, 1876.

Entre 1285 et 1288 – lenga que dyen “hoch”, catalan, chroniqueur Bernat Desclot – désigne un territoire (Desclot (B.), Crónica del rey en Pere e de seus antecessors passats, éd. Coll i Alentorn (M), Barcelone, 1950, chapitre CXXXVII, IV, p. 117).

2 février 1291 – lingua d’oc, latin, acte notarié dressé à Lagny, « d’oc » étant une expression de la langue courante pour désigner les gens des provinces méridionales, qu’on nomme en latin « provinciales » (HGL, t. X, col. 245).

26 mars 1295 – lingua de hoc, latin, acte de Philippe le Bel, (P.M., 11; H.B., 26) se réfère, à la cité de Nîmes, à la province de Narbonne et à « tota terra sive », « toute le terriroire ou langue d’oc » (HGL, t. X, col. 247).

1298 – Langue d’oc, français, mémoire politique rédigé sur ordre de Philippe le Bel; territoire explicité par « à savoir des sénéchaussées de Tholose, de Carcassonne et de Beaucaire » (Boutaric (E.), Documents relatifs à l’Histoire de France sous Philippe le Bel, pièce n° VII (dans les Notices et extraits des manuscrits, t. XX, 2e partie). Boutaric attribue ce document à 1297, mais il ne peut avoir été rédigé qu’en 1298. Référence et commentaire de P. Meyer).

14 aout 1302 – Lingua Occitana, latin, convocation par Égide, archevêque de Narbonne, d’un concile à Nîmes, au sujet du différend du pape Boniface VIII avec le roi Philippe le Bel – territoire (HGL, t. X, col. 399).

1317 – la lingua d’Oc, roman 1 du Languedoc, relation de la nomination d’un “capitaine” des marchands pour le territoire de la « langue d’oc » (B. I. [B. N. en 2008] Registre de Montpellier, ms. fr. 11795, cité par Bourquelot (F.), Études sur les foires de Champagne, sur la nature, l’étendue et les règles du commerce qui s’y faisait aux XIIe, XIIIe et XIVe siècles, Paris, 1865, p. 151, n. 3).

1342 – partes Occitane, latin, désigne, dans une lettre de Philippe VI de Valois, des territoires de langue d’oc, associés à ceux de Saintonge, où il a établi précédemment l’évêque de Beauvais comme son lieutenant : in partibus Occitanis & Xantonensibus (Ordonnances des Roys de France de la Troisième race, tome II, 1729, p. 181).

1er décembre 1359 – partes Occitanie, latin, dans la titulature de Jean, comte de Poitiers, fils du roi Jean le Bon et son lieutenant in partibus Occitanie & Alvernie, dans les régions de Langue d’oc et d’Auvergne (HGL, t. X, col. 1176). Cette expression ne se retrouve que dans un autre acte, de 1431 (col. 1972) et, en variante patria Occitanie dans un troisième, de 1443 (col. 2207); mais on n’en a pas de Occitania seul. Quant à patria, c’est le roi Charles VII qui en use, et non un quelconque habitant des pays d’oc. Ce serait donc un grave contre-sens de traduire patria par « patrie » avec le sens qu’a aujourd’hui ce mot; tout le contexte montre qu’il ne veut rien dire d’autre que « pays, territoire, région », sans qualification juridique particulière, contrairement à ducatus, duché, ou comitatus, comté.

1373 – langaige d’oc, français, dernière mention médiévale connue de « la langue d’oc » avec un sens linguistique, au sujet d’un ouvrage dans un inventaire de la librairie du Louvre (n° 378 de l’édition de M. Delisle, Cabinet des manuscrits, III, 134).

1495 – occitanos, occitanis, latin, dans des lettres de Ferdinand le Catholique, roi d’Aragon, appliqués à des personnes, en l’occurrence des marchands du Languedoc. (Documentos sobre las relaciones internacionales de los Reyes Católicos, III, publiés par Antonio de la Torre, Barcelona, 1949, V, p. 121, doc. n° 181 et 182).

1617 – Occitania (isolé) et occita nicus, latin, dans un poème d’hommage au Toulousain Goudoulin, en tête de la première édition de son recueil Le Ramelet moundi (…& autres œuvres, réédition par Philippe Gardy, 1984, p. 29); Ph. Gardy précise bien en note (p. 63) que occitanicus « renvoie ici au seul Languedoc ».

Il en sera évidemment de même :
– pour Occitania ou Occitaniæ au revers des jetons frappés par les États de Languedoc de 1634 à 1789;
– pour les Antiquitates benedictinae Occitaniae de Dom Estiennot, ou Claude Estiennot de la Serre (Varennes, 1639; Rome, 1699), bénédictin de la Congrégation de Saint-Maur, qui a écrit cet ouvrage entre 1673 et 1682 (d’après la bibliographie du tome VIII de l’HGL qui précise : autrefois à la bibliothèque de Saint-Germain des Prés; auj., à la Bibl. nat., ms. fonds latin, nos 12760, 12761).

1732 – Occitanie, français, à la p. xxxjv (34) de la Préface des Ordonnances des Roys de France de la Troisième race, tome III publié en 1732 par l’avocat parisien Denis-François Secousse (1691-1754). L’auteur mentionne une Ordonnance du 18 Février 1357 (ancien style, donc 1358 pour nous) de Jean, comte de Poitiers — déjà cité pour 1359 — avec « le titre de Lieutenant du Roy dans toute l’Occitanie par de là la Dordogne »; mais Secousse traduit là un texte latin qu’il donne p. 689 et qui porte « Locum-tenens Regis Francorum, citra Fluvium Dordonie, per totam Linguam Occitanam » : non seulement il n’y a pas la moindre trace d’« Occitania », mais encore citra signifie « en deçà » et non « par delà », donc au sud de la Dordogne puisque l’ordonnance est datée de Montpellier; notons en outre que l’apposition de « per totam Linguam Occitanam » à « citra Fluvium Dordonie » ne permet pas d’affirmer que le rédacteur de 1358 identifiait la Lingua Occitana à tout le sud de la Dordogne… Quant au mot français Occitanie dont use Secousse, il est totalement ignoré d’Eusèbe-Jacob de Laurière (1659-1728) qui avait publié en 1723 le premier tome des Ordonnances… et préparé le second; à sa mort, Secousse prit sa suite en achevant ce second tome (1728) et en réalisant le trioisième (1732); on peut en conclure que Secousse est l’inventeur du français Occitanie.

Décembre 1765 – Occitania, latin, p. 332 du volume XI de l’Encyclopédie de Diderot-d’Alembert; le rédacteur de la rubrique le classe en « Géographie ancienne » et le définit ainsi : « c’est le nom que quelques auteurs du moyen âge ont donné à la province du Languedoc; mais ce nom étoit commun à tous les peuples qui disoient oc pour oui, c’est-à-dire, aux habitans de la Gascogne, de la Provence, du Dauphiné, ainsi que du Languedoc, dont le nom moderne a été formé. » Ce rédacteur est le chevalier Louis de Jaucourt (1704-1779), qui a signé à lui seul quelque 17 000 articles de l’Encyclopédie et ne pouvait être un “spécialiste” de toutes les questions traitées. Mais il témoigne de ce que pouvaient savoir les Français instruits du XVIIIe s. et particulièrement de l’ignorance totale du néologisme français Occitanie.

Décembre 1765 – Occitanie, français, p. 26 du volume XIV de l’Encyclopédie, à l’article règles en trois occurrences, les seules des dix-sept volumes de l’Encyclopédie.Non signé, l’article est très vraisemblablement du même auteur que l’article menstrues du tome X dont il serait le complément, alors que le volume X était déjà composé; certes, ce dernier article n’est pas signé non plus, mais il est pour Wikipédia l’un des plus célèbres de Gabriel François Venel, médecin, pharmacien et chimiste français; né à Tourbes (Hérault) en 1723, il obtint en 1759 une chaire à la faculté de médecine de Montpellier et mourut à Pézenas en 1775. Le mot Occitanie figure dans trois passages décrivant une sorte de géographie des règles quant à la quantité de sang perdu, la durée du flux mensuel et l’âge des premières règles. En cela d’ailleurs Venel est original, car on ne trouve pas ces précisons géographiques chez l’Anglais Robert James, à l’article menses de son A medicinal dictionary paru en 1745 et traduit en français par Diderot lui-même. Employé par un médecin dont toute la vie fut centrée sur Montpellier, le mot Occitanie ne peut désigner que le Languedoc, dont les États frappaient encore leurs jetons avec le latin Occitania.

1788 – Occitanie, français, entre dans le champ littéraire, grâce au court roman pastoral Estelle du Langue docien Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794); mais l’auteur précise bien : « Le Languedoc ou l’Occitanie ».

24 mai 1838 – Occitania, en languedocien de l’Est, dans l’Apouthéosa dé Pierré Paul Riquet, poésie présentée par un potier de Clermont-L’Hérault, Jean-Antoine Peyrottes (1813-1858), à un concours ouvert par la Société archéologique de Béziers (Revue des langues romanes, I, 1870, p. 266). Cette forme en O- n’est pas normale en syllabe non accentuée d’un mot d’usage courant : même le premier o d’Apothéose est devenu ou dans le titre donné par l’auteur (cf. l’article du Tresor dóu Félibrige de Mistral cité ci-après). Il s’agit donc d’un néologisme, et comme le latin Occitania était certainement étranger à ce mo deste artisan, cela ne peut être qu’une adaptation de l’Occitanie français. De toute façon, comme celui-ci et l’Occitania latin, il ne pouvait désigner alors que le Languedoc.

1884 – Oucitanìo, Ouccitanié, Ouccitanìo, en langue d’oc, figurent en entrée d’un article d’un fascicule du Tresor dóu Félibrige de Mistral paru vers le début de cette année. Il est ainsi traduit : « Occitanie, nom par lequel les lettrés désignent quelquefois le Midi de la France et en particulier le Languedoc. »

1904 – Occitania, en languedocien, graphie classique, désigne l’ensemble des pays d’oc dans « Foc nou » [sic] d’Antonin Perbosc (1861-1944), Mount-Segur n° 12, décembre 1904. Le français « Occitanie » sera dès lors utilisé avec la même extension par les adeptes de l’Occitanisme, puis, sur la fin du XXe s., par une presse éprise d’exotisme rapproché.

Jean Lafitte 22 novembre 2009
Complété 11 mars 2010

1 N’a pas de nom propre à l’époque, alors que le catalan, le provençal et le gascon sont déjà nommés par ces noms-là.
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