vendredi 15 juin 2012

Gavaudan 1195


Le Troubadour Gavaudan,

les Béarnais, les Gascons et les Provençaux.
Chanson de Croisade






Le vers 58 de cette Chanson porte la première mention connue du mot Bearns désignant les Béarnais parmi les croisés appelés à aider le roi de Castille contre les Musulmans. Pour A. Jeanroy, ce texte peut être daté de 1195.


Toute question linguistique mise à part, il est remarquable que Béarnais, Gascons et Provençaux sont nommés distinctement parmi les peuples qui disaient « oc », près d’un siècle avant la première attestation de l’expression si peu linguistique de « langue d’oc », dans un acte notarié dressé à Lagny, près de Paris, en 1291.


Mais cette mention des Béarnais parmi les croisés n’a rien d’étonnant, quand on sait leur rôle dans la prise de Jérusalem en 1099, avec à leur tête leur vicomte Gaston IV. Et pendant tout le début du XIIe s., ils devaient encore guerroyer avec le roi d’Aragon contre les Musulmans. On sait par ailleurs que les “Français” (du nord) de l’armée croisée appelaient du nom latin de Provinciales tous ceux que commandait le comte de Toulouse Raymond de Saint-Gilles, qu’ils fussent Bourguignons, Gascons, Goths (nous dirions aujourd’hui “Languedociens”) ou autres (cf. le livre écrit avec Guilhem Pépin La “Langue d’oc” ou leS langueS d’oc ?, p. 70). Le troubadour Gavaudan, originaire du Gévaudan (notre Lozère) montre au contraire qu’un homme du Midi avait une idée plus précise des “nationalités” méridionales.


Pour revenir à l’écrit, dans les documents anciens du Béarn ou d’ailleurs, je n’ai jusqu’ici rencontré un mot nommant les Béarnais ou leur langue (en principe, bearnes ou biarnes) que dans les Chroniques romanes des comtes de Foix d’Arnaud Esquerrier et Miégeville (1461), pour sauter ensuite à plusieurs mentions des Bearnes dans le Livre des Syndics des États de Béarn à partir de novembre 1512 et celle du bearnes comme langue dans les registres des États de Béarn, le 1er mars 1533.


Mais, ironie du sort, Andriu de Gavaudan est le pseudonyme de l’occitaniste André Bianchi, auteur en 2005, avec son collègue Maurice Romieu, d’une Gramatica de l’occitan gascon contemporanèu de 578 p., à usage universitaire, qu’ils ont purgée soigneusement des que énonciatifs qu’en bons Languedociens ils n’arrivent pas à maîtriser. Même Jacques Taupiac, occitaniste mais Gascon, leur en fit ouvertement le reproche dans un article de la revue Reclams.


Et ce Gavaudan prépare ainsi les enseignants de l’« occitan de Gascogne »...
13 et 14 juin 2012
Jean Lafitte

jeudi 2 février 2012

À l’école : enseigner les langues ou l’histoire des régions ?


À l’école : enseigner les langues ou l’histoire des régions ?
Sud-Ouest de ce jour nous offre, signé par M. Bruno Béziat, le bon article que voici :
http://www.sudouest.fr/2012/01/30/les-langues-regionales-au-tableau-619165-4329.php
Ecole : les langues régionales de plus en plus étudiées
On apprend de plus en plus les langues régionales à l’école. Mais le bilan de cette politique reste pour l’instant mitigé. Explications.
Rue de Grenelle, au cœur du système éducatif, on planche entre autres sur l’apprentissage des langues régionales. Le ministère de Luc Chatel commence à dresser le bilan d’une politique nationale plus favorable qu’autrefois à ces langues. Il s’agit de mieux faire connaître ce que l’État considère comme un « effort », dans une période électorale où chacun tente de séduire des publics très variés.
François Hollande a déjà promis de signer la Charte des langues régionales ou minoritaires. Des députés de tous bords (PS et UMP) ont proposé, l’an dernier, sans succès, de créer un cadre législatif plus précis et contraignant sur cet apprentissage, pour l’instant laissé à l’appréciation des académies. Quant au gouvernement, sans aller jusqu’à accepter un pilotage décentralisé de cette politique éducative, il a plutôt montré une certaine ouverture et affiche un bilan honorable.
Profs difficiles à trouver
Un peu plus de 400 000 élèves profitent aujourd’hui de l’enseignement d’une langue régionale. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. Pour l’occitan, c’est 80 000 élèves au tableau sur le très vaste secteur géographique historique de cette langue du Sud, de l’Atlantique à 2 l’Italie en passant par l’Espagne. Pour le basque, il s’agit de 11 000 élèves. Mais, surtout, les ouvertures d’écoles bilingues sont régulières. « Il existe aujourd’hui 18 cursus en occitan et des projets de création de classes, mais je ne peux vous dire combien il y en aura », résume Bernadette Fournier, présidente des parents d’élèves des écoles bilingues d’Aquitaine.
Voilà pour l’aspect positif de ce dossier. Mais le bilan de l’apprentissage des langues régionales est bien plus mitigé que ces quelques chiffres encourageants. La première difficulté porte sur l’enseignant. La plupart du temps, il est difficile de trouver des professeurs qualifiés.
Il suffit d’une seule main pour compter les postes d’occitan au Capes. En Aquitaine, le recteur, Jean-Louis Nembrini, qui a défendu cette politique lorsqu’il dirigeait l’enseignement scolaire rue de Grenelle, se montre presque cinglant : « Que personne ne vienne me dire que l’État ne fait pas ce qu’il faut. J’ai la possibilité au budget d’ouvrir quelques postes. Mais j’attends les enseignants et les effectifs. » Bernadette Fournier tempère : « Pour les élèves, il y a de quoi ouvrir des classes. C’est vrai qu’il n’est pas facile de trouver des professeurs. Il faut aussi les motiver et les former. » Un problème qui s’accroît surtout dans le secondaire.
Décalage
On touche là du doigt le deuxième obstacle qui se dresse sur la route de l’apprentissage de l’occitan : le décalage entre la langue écrite, codifiée après-guerre, et la langue parlée, mais dont les formes sont variées : le gascon n’est pas le languedocien, et le patois des villages de Dordogne n’a qu’un rapport lointain avec le béarnais. Des jeunes ont parfois du mal à échanger avec leurs grands-parents. Autrement dit, apprendre l’occitan a-t-il un sens si l’on ne peut pas le parler dans la vie courante ?
David Grosclaude, conseiller régional aquitain délégué aux langues et cultures régionales, président de l’Institut d’études occitanes, balaie cet argument : « On nous ressort toujours cette histoire. C’est une langue codifiée qui a mille ans de littérature. C’est exactement la même chose pour le français. J’ai parfois du mal à comprendre quelqu’un du Nord ou un Québécois. Une langue est variée, elle évolue. La difficulté est que l’Occitanie est justement un territoire immense. Je me sens béarnais, mais je suis aussi occitan. »
Ses défenseurs soulignent aussi que 15 millions de personnes vivent en Occitanie, pour 2 millions environ qui comprennent cette langue. « Mais, souvent, ils ne la parlent pas parce que l’on a inculqué à toute une génération que l’on ne pouvait utiliser que le français. Il était honteux de parler patois. C’est quelque chose qui a été intériorisé », ajoute Bernadette Fournier. Reste qu’il existe un décalage entre la langue apprise et la possibilité de l’utiliser, bien davantage il est vrai en Occitanie qu’au Pays basque. Ce qui n’incite pas les élèves à poursuivre dans le secondaire et les jeunes enseignants à se professionnaliser dans cette langue. En Bretagne, Fanch Broudic a rendu un rapport sur l’enseignement du breton. Il montre notamment que les parents « sont souvent inquiets » lorsque leurs enfants poursuivent leurs études secondaires dans cette langue, d’autant qu’eux-mêmes ne la parlent pas.
Conséquence :
davantage de jeunes apprennent le breton à l’école, mais on le parle paradoxalement moins dans la vie de tous les jours.
Priorité à lʼanglais
Une situation à laquelle le Sud-Ouest n’échappe pas. Cette inquiétude des parents était concrète ces jours-ci dans des écoles du Béarn ou du Pays basque, où certains se sont publiquement opposés à l’ouverture de classes bilingues. Toutes les études montrent pourtant que les enfants de ces classes bilingues de langues régionales « ont de meilleurs résultats », rappelle Bernadette Fournier.
Mais pour beaucoup de parents, le bilinguisme passe en priorité par l’anglais, comme une déléguée le réclamait la semaine dernière dans une classe d’Orthez promise à l’apprentissage de l’occitan. Il n’est pas toujours facile d’être prophète en son pays.
Bruno Béziat
Mon commentaire
1 – Sur le texte
Pour autant que je sache, M. David Grosclaude a démissionné de ses fonctions de président de l’Institut d’études occitanes dès son élection comme conseiller régional, sur une liste menée par Europe-Écologie-Les Verts et grâce au scrutin de listes à la proportionnelle. On doit savoir que cet élu a fait de l’« occitan » son gagne-pain, essentiellement financé par les collectivités publiques ; s’il était entrepreneur de bâtiment plaidant pour la construction d’une moderne “cathédrale” bureaucratique, on le soupçonnerait sans doute de conflit d’intérêts...
Sur la désaffection à l’égard des langues régionales, je rappelle que la revue occitaniste de Béarn Per noste-Païs gascons affichait dès la fin de 1982 un dessin où un chasseur, voyant un vol de palombes passer au loin, constatait : « Elles n’entendent plus parler béarnais par ici, alors, elle se croient toujours ailleurs... ». La situation ne s’est pas améliorée, mais chacun trouve toujours de bonnes raisons pour en imputer la faute aux autres... et demander aux autres de financer le rétablissement de ces parlers délaissés.
On ne saurait oublier pourtant que la Révolution a combattu les « patois » comme vestiges d’un Ancien régime qui reposait sur la division du peuple en multiples provinces ayant chacune son parler populaire. Et le Gascon de Bigorre Bertrand Barère de Vieuzac, qui présida la Convention, fut à la pointe du combat contre elles, même s’il n’attaqua jamais nommément son gascon ancestral.
Quant à l’« Occitanie », que M. Béziat mentionne sans guillemets, elle n’eut d’existence officielle que comme nom latin (Occitania) de la province d’Ancien régime du Languedoc.
Ce sont les Français du Nord qui ont “étiqueté” « d’oc » les idiomes romans du Midi ; les territoires où on les parlait n’ont été réunis sous une même autorité que par la patiente politique des rois Capétiens étendant leur “pré carré”, jamais par la volonté des populations concernées, moins soucieuses des visées géopolitiques de leurs seigneurs que des « privilèges » qu’ils leur accordaient et des taxes et corvées qu’ils leur imposaient.
2 – Sur la photo
J’observe d’abord qu’elle est tirée des archives et non datée ; mais l’examen d’autres photos de classes et d’enseignants au tableau m’ont révélé, hélas ! un faible niveau de compétence, qu’on n’accepterait pas, je l’espère du moins, pour l’enseignement du français. Or ce sont des spécialistes de l’« occitan » qui forment les enseignants, et je ne puis que rappeler deux citations faites dans la thèse de 2005 :
– de Philippe Carbonne (« Post-scriptum », Lo Gai Saber n° 488, 2003, p. 390), professeur d’université en mathématiques, ancien président de l’I.E.O. et locuteur languedocien depuis son enfance :
« ...je m’aperçus qu’un enseignant d’occitan dans une université, donc quelqu’un qui forme les enseignants de demain, qui est aussi un romancier, ne respectait jamais la règle [de la place des pronoms dans un groupe de verbes] dans ses œuvres. [...]
« Quand j’entends un responsable de haut niveau de l’éducation nationale me parler de problème et y revenir plus d’une fois, je me dis qu’en fait de problèma, il y en a un gros [...] 1.
« Dans le manuscrit d’un écrivain aujourd’hui reconnu, qui est aussi professeur d’occitan, je vois “un jeune homme sous le calpre [{charme}, l’arbre !] d’une femme. ».
– d’Éric Gonzalès qui venait d’obtenir le CAPES d’« occitan » (Per noste-Païs gascons n° 163/164, 7-10/1994, Courrier des lecteurs, p. 20) :
« La connaissance de la langue n’est pas, me semble-t-il, appréciée et valorisée 1
Un Gascon pourrait cependant se justifier par proublèm du Dictionnaire de Palay, qui se prononce bien en -[e]. 4 convenablement par les jurys. On donne trop d’importance à la littérature [...]. Si c’est un honneur pour notre langue d’avoir une littérature, la langue vient en premier. J’ai discuté avec des gens qui ont passé le CAPES d’espagnol ou d’anglais et il m’a semblé que le CAPES d’occitan est encore plus littéraire que les autres CAPES de langue. [...] Veut-on que les professeurs d’occitan enseignent notre langue comme le latin ? »
Mais j’en viens à notre photo :
Au premier plan, je crois identifier, non une “ardoise” d’écolier volontairement agrandie, mais un tableau à fond blanc ligné en rose pâle, comme une page de cahier. La grande régularité des lignes d’écriture et la forme des lettres sont celles d’un adulte. C’est donc le maître qui a écrit la correction d’une « Dictada ». Avec les ratures, on est loin cependant d’un tableau écrit par un maître d’antan.
L’effectif ne semble pas dépasser les huit élèves. Je déchiffre le tableau blanc :
Dictada
Un cè??? sapient qu’assajava d’ensenhar las sciencias a ua serp qui non saveva pas arren. {un ?? savant essayait d’apprendre les sciences à un serpent qui ne savait rien}
En supposant que le texte provienne d’un manuel correctement noté, qui connait l’orthographe en graphie occitane remarque d’emblée que le maître est fâché avec les accents écrits et ne maitrise pas la notation du [β] en b ou v ; on doit en effet corriger ainsi :
...ensenhar las sciéncias a ua sèrp qui non sabèva pas arren.
Quant à la langue, c’est du bon gascon, mais même corrigé en sabèvi, savevi n’est pas béarnais, la forme de tout l’ouest gascon, du Sud de la Gironde au Béarn et même au Sud-ouest des Hautes-Pyrénées, étant sabè (Atlas linguistique de la Gascogne, V, 1662).
Voilà donc un enseignement qui, pour maintenir la langue vivante, n’est pas plus efficace qu’un cautère sur une jambe de bois, et qui s’avère même très médiocre pour la qualité de la langue enseignée.
3 – L’enseignement que je souhaite
Pour le gascon d’Aquitaine et de Midi-Pyrénées, comme pour toutes les langues historiques des autres régions de France, le réalisme me conduit à préconiser avant tout un enseignement aussi vivant que possible de l’histoire du pays, en relation avec les lieux et les monuments ; il devrait être assorti d’une initiation à la langue par les chansons et l’étude de textes des diverses époques, et notamment, pour le gascon et sa variante béarnaise, des œuvres si belles que nous ont laissées les Félibres : c’étaient pour la plupart des locuteurs habituels de la langue, mais qui par leur culture et leur intelligence surent la porter au niveau littéraire.
Or comme pour le français, l’anglais ou l’espagnol, la langue et l’histoire béarnaises et gasconnes — pour ne parler que d’elles — devraient faire l’objet d’études et recherches au plus haut niveau, de manière à pouvoir former des enseignants compétents tout comme à offrir au public des ouvrages de vulgarisation sérieuse. Car sauf exception, l’expérience que chacun peut avoir de la langue est limitée à un étroit territoire et à la période contemporaine, et nous n’avons pratiquement aucune connaissance historique — Henri IV et la poule au pot ou la gousse d’ail du baptême, c’est peu, et de la légende ! — bien moins que ce que nous avons appris sur le français et l’histoire de France.
Jean Lafitte
30 janvier 2012

mardi 24 janvier 2012

Réponse aux réactions des lecteurs.

Réponse aux réactions des lecteurs.

lundi 23 janvier 2012 par Jean Lafitte


Je tiens à remercier les personnes qui ont réagi à la suite de mon constat attristant d’il y a quinze jours sur l’absence totale du béarnais dans les vœux des Béarnais publiés le 2 janvier par la presse paloise.

Certes, la réaction de M. Dominique Bidot-Germa a pu paraître bien vive, mais je le remercie de m’avoir ainsi donné l’occasion de faire à mon tour de nombreuses mises au point sur les graphies du béarnais, la moderne et la classique, ou « occitane ».

Je vais en quelques mots répondre à une petite question soulevée par deux des intervenants, faire une mise au point sur l’efficacité des Calandretas et des manifestations festives, puis je présenterai brièvement l’étude sur la graphie qui sera téléchargeable.

Peyo et L’Ours du bois s’interrogent sur beroye ou beroje. Voici ce que j’en pense : avec l’aide de l’Atlas linguistique de la Gascogne (ALG), j’ai dressé une carte des régions gasconnes qui disent j ou y ; comme pour anade avec un seul -n- (cf. mon étude présentée plus bas), on dit y dans le coin Sud-ouest du domaine gascon, comme adossé au Pays basque (qui dit yauna), dernier refuge de l’aquitain de nos ancêtres communs ; comme le son y est aussi le latin d’origine, je pense que c’est la prononciation la plus ancienne et donc la plus « gasconne » ; le j est venu après. Mais si l’on écrit j en disant qu’il se prononce j ou y selon les lieux, comme le fait la graphie occitane, cela ne règle pas le sort des j qui en un même lieu, restent j tandis que d’autres sont y, et cela au sein d’un même mot : c’est inextricable ; la seule solution praticable est d’écrire j ou y selon la prononciation réelle du lieu ; de toute façon, cela ne gêne absolument pas la compréhension et comme l’a dit un prof. de la Sorbonne, « au moins, on sait comment vous prononcez ».

Pagahosurós a pris l’affaire sur le ton plutôt sympathique de reproches ironiques ; je lui ai répondu personnellement par un message amical. Ici, j’observe que la réussite dans la vie des anciens de Calandreta n’est pas due à l’enseignement du béarnais, mais à plusieurs facteurs : sociologiquement, ce sont pour la plupart les enfants de couples instruits et plutôt des classes moyennes ; l’enseignement se fait à petits effectifs et avec des méthodes pédagogiques favorables, mais qui ne sont pas propres au béarnais ; et le bilinguisme précoce peut se faire dans d’autres langues que le béarnais. De toute façon, le résultat social pour la vitalité actuelle de la langue est nul. Quant aux Carnaval, HestivÒc et autres manifestations largement subventionnées, c’est du « circences » (jeux de cirque que réclamait le peuple de Rome selon Juvénal) où l’on affiche des banderoles en béarnais, mais difficiles à lire avec leur graphie occitane pour initiés, et où des initiés parlent dans des micros : c’est de l’ordre des villages de Potemkine (explications sur Google si nécessaire).

Bien que je n’ai pas mis en cause la graphie occitane dans mon texte d’il y a quinze jours, M. Bidot-Germa en fait le thème principal de sa réaction. Mon étude ne répond qu’à cela, car les précisions sur la souveraineté du Béarn ne concernent pas mon propos. Je montre, avec tous exemples et références utiles :

1 - que la graphie béarnaise autochtone n’a jamais été enfermée dans un corps de règles, mais a consisté à s’adapter sans cesse à la langue parlée qui évoluait ;

2 - qu’il est peu vraisemblable qu’on ait un autographe des seigneurs de Béarn, des Moncade à Henri IV, qui aient envoyé des vœux de bonne année en béarnais et que s’ils l’ont fait, la notation « bona annada » est tout à fait invraisemblable ;

3 - que d’après la prononciation observée par les enquêteurs de l’ALG, seule est valable la prononciation de boun(e) anade en Béarn, boun(e) anade à Bayonne et dans le Bas-Adour ; or un article de la presse paloise de samedi 7/dimanche 8 janvier annonce que l’Institut occitan met à la disposition du public 30 000 cartes postales de « Bonaannada » gratuites, en précisant aussitôt « prononcer boune annade ». S’ajoutant aux « 1 500 affiches diffusées en Aquitaine et Midi-Pyrénées », cette opération publicitaire menée aux frais du contribuable montre malheureusement aux rares initiés soit l’ignorance des personnels de cet Institut quant aux prononciations en domaine gascon, soit, pire encore, une manœuvre pour effacer des spécificités de la langue gasconne et béarnaise en vue de la soumettre au modèle toulousain. Je n’ose pas penser que M. Bidot-Germa cautionne cette entreprise de négation de la diversité linguistique des langues d’oc, alors que, face au français national, le mouvement occitaniste ne cesse d’invoquer cette diversité au profit de l’« occitan ».

4 - que la graphie occitane n’a jamais eu pour objet de rétablir la graphie béarnaise médiévale, mais d’adapter au gascon les règles languedociennes.

Mon étude a pour titre « Bona anada, M. Vidòt-German, Boune anade M. Bidot-Germa », chaque forme étant homogène en graphie, l’une classique, l’autre moderne.

Bonne lecture !



- Par Jean LAFITTE

Pau, le 19 janvier 2012

lundi 23 janvier 2012

Les vœux des Béarnais : « béarnais » ou « occitan », langue morte


Les vœux des Béarnais : « béarnais » ou « occitan », langue morte

lundi 9 janvier 2012 par Jean Lafitte


Amis d’Alternatives Paloises, avez-vous jeté un coup d’œil sur les vœux de nouvel an formulés par des lecteurs et publiés par nos quotidiens la République et l’Éclair de lundi dernier 2 janvier ? Pour le curieux de sociologie, il y a matière à observation et réflexion...

Personnellement, mon engagement pour la langue gasconne et béarnaise de mes ancêtres me pousse à y chercher des traces de cette langue dans une expression généralement spontanée, loin des réponses orientées par les subtiles questions des sondeurs ou par les calculs conscients ou non des sondés.

Je l’avais fait pour les messages d’amoureux de la St-Valentin 2004 et pour ceux des vœux du Nouvel an 2005 et en avais rendu compte dans ma thèse : pour la St Valentin, sur 192 messages publiés, 190 étaient en français, un en italien et un seul en béarnais, en graphie béarnaise traditionnelle ; et pour le Nouvel an, sur 229 messages, un seul en béarnais, dans cette même graphie ; un autre en français s’achevait par un Adichatz, qui mêlait ch traditionnel et la finale -tz de la graphie occitane.

En 2012, la formule a deux fois plus de succès, car après élimination de 7 doubles que j’ai détectés, j’ai compté 445 vœux, dont plusieurs séries émanant d’un seul signataire. Or le seul qui ne soit pas en français est... en italien, p. IV, col. 1. Donc aucun en langue romane du pays, qu’on l’appelle du nom de « béarnais » qu’elle tient depuis 500 ans, ou du terme générique d’« occitan » issu de la loi Deixonne du 11 janvier 1951, abrogée depuis le 15 juin 2000. Aucun non plus en langue basque, malgré un lectorat important en Soule.

Parmi les destinataires nommés, les noms de famille béarnais sont assez nombreux : Palengat, Cazalet, Maunas, Serrot , etc. Mais un seul prénom est noté en béarnais, Yan, p. VII, col. 3 ; aucun prénom proprement gascon ou béarnais comme Guilhem ou Maylis, mais j’ai renoncé à compter les prénoms de jeunes directement issus des séries télévisées...

Un destinataire est nommé Cap à Cap, qui évoque peut-être l’expression béarnaise cap e cap, soit « tête à tête » ; deux autres sont des noms de groupes, Lous Esbagats du Luz et L’Arriu de Lées, écrits en graphie traditionnelle du Béarn.

Mais même l’envoi A tout [sic] les Béarnais, p. V, col. 4, est en français...
Chez les signataires, on trouve quelques noms d’allure béarnaise : Mamie Chicotte, Manicou, Miquitou, Pascalou, Patou, Pirou, Petitou, Lilou et peut-être Nizou ; et surtout Lou Baylet (p. II, col. 5) et Pierre Couartou, p. III, col. 5).
Mais on n’envoie plus ni pots, ni poutous ni poutines, plus que des bisous (avec quand même la finale diminutive ou qui vient des langues d’oc !).

Si l’on considère qu’une langue est vivante quand on l’emploie spontanément en toutes sortes de circonstances, et notamment dans la conversation familière, on est bien obligé de constater que la langue béarnais ne l’est plus. Où sont donc passés les anciens élèves de l’enseignement de l’« occitan » dispensé depuis des décennies par l’école publique ou les écoles Calandretas, fondées il y a 32 ans ?

On a vanté les bienfaits du bilinguisme, mais on le pratique aussi avec l’anglais et l’espagnol, langues vivantes que les élèves auront l’occasion de pratiquer.

Tout le ramdam fait autour de l’« occitan », les affiches « Bona Annada » au lieu du béarnais « Boune Anade », et les panneaux de signalisation urbaine en occitan, n’est-ce pas un bluff éhonté de la part de ceux qui en vivent sur fonds publics ? Il serait temps que les responsables de l’argent des contribuables en prennent conscience et réorientent les crédits culturels vers des actions plus efficaces pour la langue patrimoniale du Béarn !


- par Jean Lafitte

lundi 16 janvier 2012

Per noste et l'Histoire

Boune noéyt a touts,

Dab lous mêns vots mèy boûns ta 2012, que v'envìi ûn estudi brac, més divertisseén, et dab quauquës enfourmacioûns istouriques e lingüistiques, navères dilhèu ta quauquës ûns.

Plân couraumén,

J.L.


P.S. – Taus qui n'at saberén pas, Per noste qu'y l'assouciacioûn ouccitaniste de Biarn apitade en 1960.

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Jean Lafitte
13 janvier 2012

L’Histoire revue par Per noste

Dessins de Christian Lamaison, textes anonymes

GENÈR-HEURÈR 1979 N° 70

— Qu’èra totun plan content lo Froissart ! Que m’estonerí se disèva trop de mau de jo dens los sons libes... (Qu’èi hèit atencion de non pas trop cridar quan èra a Ortès).


La scène imaginée par le dessinateur se situe après le départ de Froissart, qui séjourna à Orthez du 25 novembre 1388 aux premiers mois de 1389. Gaston Fébus a donc au moins 58 ans. Le dessin représente le haut de la tour Moncade, donjon du château vicomtal, à Orthez, avec vue vers le Sud et au second plan la tour du Pont vieux. Sur la pierre du créneau, un soldat de garde, imaginé comme un conscrit moderne, a gravé « Sonque 1200 dias e tà case ! », « Plus que 1200 jours et à la maison ! ». On remarque le a de dias, selon la norme occitane, suivi du e de case : chez le dessinateur, le naturel revient au galop !

Pour ce qui est du texte imprimé :

– estonerí est une forme authentiquement gasconne en vigueur à Orthez, au lieu de estonarí des grammairiens occitanistes, forme primitive conservée en montagne ;
– disèva par contre est une forme de l’Est gascon, alors que la forme landaise et béarnaise,
donc orthézienne, est disè (ALG VI, 1662 et 1686) ;
– Qu’èi hèit atencion de est un calque du français ; en bonne langue : que-m so(u)y avisat
de, que m’y so(u)y espiat de..., que-m so(u)y goardat de...

NOVEME-DECEME 1991 N° 147

Monsenhor, lo cèu qu’ei clar qu’auram bèra jornada.

Ce dessin commémore la mort subite de Gaston Fébus le 1er aout 1391, à l’issue d’une chasse à l’ours dans les environs de Sauveterre-de-Béarn ; il avait soixante ans ; à en croire le dessinateur, il avait donc beaucoup vieilli en deux ans !

Pour ce qui est de la langue :

– auram est une forme contractée de averam ; son aire d’emploi couvre presque tout le domaine gascon, y compris le Nord-est du Béarn, mais laisse à averam la majorité du Béarn, Orthez compris (ALG VI, 2034) ;
– jornada : jornade apparait dès la Charte de Herrère (ligne 5 ; D. Bidot-Germa et autres, Histoire de Béarn, 1986, p. 53), avec le seul sens d’étendue de terrain qu’on laboure en une journée ; on le retrouve avec le même sens dans divers actes notariés publiés par A. Cauhapé dans Per noste-Païs gascons, p. ex. 1345, n° 218, 9/10 2003 ; mais dans les Rôles de l’armée de Gaston Fébus on trouve le sens de convocation pour une certaine date, en l’occurrence le 2 aout 1376 (P. Raymond, in Archives historiques du département de la Gironde, t. XII, 1870,
pp. 144 et 146) ; enfin, le sens de journée de travail est dans un compte rendu de séance des États de Béarn de 1594 (V. Lespy, Sorcières dans le Béarn, 1874, p. 68).

Si l’on peut à la rigueur considérer que l’interlocuteur de Fébus est d’une région gasconne qui emploie le futur contacté, le mot jornada est une forme non béarnaise et même jornade au sens actuel du français journée est un anachronisme sémantique.

NOVEME-DECEME 1982 N° 93

— Mossur de Saleta, volem e entendem que l’arrevirada e l’impression sian acabadas tà heurèr de 1583. En efèit, seré pecat se Per Noste non podosse tiéner lo son collòqui deu 400au aniversari a la data prevista !

Outre l’anachronisme, voulu avec humour, de la mention de Per noste au XVIe s., cette exigence est totalement invraisemblable, puisque Jeanne d’Albret, morte à Paris le 9 juin 1572, l’aurait formulée avec onze ans d’avance.
Remarquer qu’aniversari dérivé comme anade deu latin ‘annus’, n’a qu’un n, conformément au traitement général des doubles consonnes latines dans les langues d’oc ; la forme annada est une exception languedocienne, probablement due à une latinisation savante.

Conclusion

Per noste/Païs gascons n’a jamais eu la prétention d’être une revue scientifique, même ses pages offrent d’excellentes choses. On ne saurait donc lui faire grief des erreurs, anachronismes et invraisemblances des pages de titre, le plus souvent excellentes quand elles étaient confiées à Christian Lamaison. Mais il faut se garder de prendre au premier degré tout ce qu’on y trouve, et s’appuyer plutôt sur des ouvrages scientifiques.

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