mardi 24 novembre 2009

Faut-il une loi pour les langues régionales ?

http://www.sudouest.com/accueil/actualite/france/article/772983/mil/5374242.html

Mercredi 18 Novembre 2009

TRIBUNE LIBRE.

Faut-il une loi pour les langues régionales ?

Le 16 octobre, des militants de la langue basque ont eu un entretien avec M. Guillaume Métayer, conseiller de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication ; ce fut pour apprendre qu’aucun calendrier n’est prévu pour un projet de loi sur les langues régionales et que le ministère s’interroge même sur son opportunité. Les militants des langues régionales s’en sont fortement émus et certains ont crié au scandale, une telle loi ayant été promise par Mme Albanel, précédent ministre de la Culture, lors d’une déclaration faite le 7 mai 2008 à l’Assemblée nationale. C’est oublier qu’une initiative des députés prise 15 jours plus tard, le 22 mai, a abouti à l’inscription de ces langues dans un article 75-1 nouveau de la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Cela vaut beaucoup plus qu’une loi, comme l’a souligné M. Métayer. Désormais :

- le qualificatif « régionales » enracine chaque langue dans un territoire ;
- le substantif « patrimoine » renvoie à l’histoire de chaque langue héritée des aïeux, comme tout bien patrimonial ;
- la place même de cet article dans le titre XII de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales, les désigne d’emblée comme maîtresses d’oeuvre de la conservation de la langue, voire des langues, de leur territoire.

Dès lors, toute la législation relative à l’exercice des compétences générales des collectivités territoriales est applicable à leurs actions au profit de ces langues. D’autre part, l’article 34 de la Constitution limite strictement le domaine de la loi, renvoyant tout le reste au domaine des décrets, pris par le seul gouvernement. Par exemple, on peut imaginer un décret fixant les conditions dans lesquelles seraient déterminés les noms de communes écrits selon la langue locale (recherche dans les écrits anciens, lisibilité à l’époque actuelle en raison de la prononciation moderne, etc.).

Il ne reste donc pas grand-chose qui puisse être mis dans une loi, et l’on comprend que l’État, si facilement accusé de jacobinisme, laisse aux collectivités territoriales toute latitude pour nommer leurs langues historiques et favoriser leur maintien selon les attentes de la population.

Or, ces attentes ont bien été mises en avant par M. Jean-Jacques Lasserre, alors président des Pyrénées-Atlantiques, à la page 6 du dossier Langue occitane joint au numéro de décembre 2003- janvier 2004 de « Lettres d’Aquitaine » : il faut « à la "base", une volonté réellement marquée d’une partie au moins très significative des populations concernées de passer d’un intérêt "passif" pour sa langue régionale (par exemple "l’opinion très positive" exprimée lors des fréquents sondages d’opinion sur le sujet) à un intérêt "actif" (par exemple, l’inscription de ses enfants en filière bilingue lorsque la possibilité en est offerte) assortie d’un soutien concret, rapide et pérenne des collectivités de proximité (communes, intercommunalités...) lorsque cette volonté se manifeste ».

Autrement dit, « aide-toi, le Ciel t’aidera », et l’État lui-même apportera sa contribution, comme il le fait dans d’autres domaines de conservation du patrimoine.

Enfin, s’il faut vraiment une loi, rien n’empêche les députés et sénateurs de la proposer, pour peu que les militants leur suggèrent des dispositions conformes à la Constitution, donc relevant du domaine de la loi selon l’article 34, et ne contrevenant pas à l’article 2 sur le français, langue de la République, et à la jurisprudence qu’en a tirée le Conseil constitutionnel. Rien n’est donc perdu, si les Français de base veulent vraiment garder vivantes les langues de leurs ancêtres.

Jean Lafitte
Docteur en sciences du langage

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Réactions d’un ami et mes réponses :

Par message du vendredi 20 novembre, un ami m’a fait part de son « désaccord à peu près total » sur cette tribune libre. Comme c’est un homme sensé et d’expérience, je suppose qu’il n’est pas le seul à réagir de même, et je dirai même que ses objections me sont venues à l’esprit, avant que je ne les écarte.

Voici donc ses réactions et mes réponses.

« 1) le renvoi de l’État vers les collectivités locales me laisse sceptique pour plusieurs raisons
« – les départements et les régions pourraient se voir
prochainement interdire toute intervention dans ce domaine si elles perdent, comme cela est probable, la “clause de compétences générale”, ce qui les conduira à se limiter à un champ d’interventions étroitement limité.
« – à supposer qu’elles puissent encore agir dans ce domaine, elles vont se voir priver d’une partie de leurs moyens financiers dans les années qui viennent (voir, entre autres, le débat actuel sur la suppression de la taxe professionnelle) et devront se concentrer sur leurs dépenses les plus lourdes (social et routes pour les départements, TER et formation professionnelle pour les régions).

« – surtout, dans un pays comme la France, la langue et la diversité me paraissent être de nature essentiellement étatique. Car la relation entre le pouvoir central et ses régions est une grande question politique. »

Ma tribune libre est le résultat, nécessairement abrégé — c’est la loi du genre — d’une analyse juridique de l’article ajouté à la Constitution et de sa place, analyse que j’ai faite en juriste, car ce fut ma profession avant que mon admission à la retraite me mène à devenir linguiste.

Or selon la Constitution, les langues régionales sont bel et bien dans les attributions des collectivités territoriales — pas seulement « locales » — et l’art. 72 al.2 leur donne « compétence générale » pour ce qui es de leur niveau :
« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. »
La première raison avancée par mon ami se base que sur ce qui pourrait arriver si on modifiait la Constitution. Moi, je travaille sur le texte en vigueur.

La seconde raison porte sur les moyens des collectivités territoriales. Elle est réaliste, mais le déficit de l’État, que l’on dit abyssal, est aussi une réalité.
La troisième raison est philosophique et politique au plus noble sens du terme. Mais je doute qu’elle puisse être opérationnelle sur une matière qui touche tellement à la mentalité des individus; je vais y revenir de suite.

« 2) Il faut à la base une volonté réellement marquée, écrivez-vous.
« Certes, mais celle-ci, faute de combattants, ne peut plus exister aujourd’hui ! Lorsqu’elle s’exprimait au début du siècle dernier, elle a été vigoureusement combattue, notamment à l’école, pour aboutir à la situation actuelle. Il est trop facile aujourd’hui de constater que les troupes sont peu nombreuses et d’en déduire qu’il n’y a pas de demande. Autant exiger des Indiens des Etats-Unis d’être plus nombreux pour prouver qu’ils ont historiquement raison… Seul un très fort volontarisme politique peut retourne
r la situation et faire remonter l’attachement des populations aux langues régionales. L’offre n’ayant pas suivi la demande lorsque celle-ci existait, c’est l’offre qui, désormais, doit précéder la demande. »

D’abord, une petite rectification : c’est Jean-Jacques Lasserre, alors président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques qui a écrit qu’il faut « à la “base”, une volonté réellement marquée d’une partie au moins très significative des populations concernées […] »; je n’ai fait que le citer avec références.

Et une autre rectification plus importante : les locuteurs n’ont jamais manifesté massivement une telle volonté; ce ne fut que la revendication polie de personnes de la moyenne bourgeoisie, pour la plupart bien installées dans le français, qui, romantisme aidant, ont exalté les « patois »; mais au-dessous, les locuteurs se souciaient plutôt de promotion sociale et de progrès, représentés par le français, et au-dessus, les politiques se préoccupaient beaucoup plus de république contre monarchie, d’affaire Dreyfus ou de séparation des Églises et de l’État, et bientôt, hélas, de guerre contre l’Allemagne.

Aujourd’hui, plusieurs raisons m’empêchent de compter sur « un très fort volontarisme politique » :

– je ne vois aucun élu ou responsable politique de niveau national qui soit porteur d’une forte conviction en faveur des langues régionales. En 1981, parmi ses « 110 propositions pour la France », le candidat François Mitterrand avait mis, au n° 56, « La promotion des identités régionale sera encouragée, les langues et cultures minoritaires respectées et enseignées. » C’était suffisamment vague pour pouvoir être tenu… au moins sur le papier, mais ces langues n’ont fait que reculer pendant les 28 ans écoulés depuis. Il est vrai qu’au n° 54, on lisait aussi « Un département du Pays Basque sera créé. »… Ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997, M. François Bayrou a essayé d’œuvrer au profit de ces langues… mais s’est heurté à la condescendance ironique quand ce ne fut pas à l’hostilité déclarée de son entourage politique et de haute administration; en 2005 lors d’un débat à l’Assemblée nationale, puis en 2007 comme candidat à la présidence de la République, il plaidé pour la ratification de la Charte européenne, pourtant écartée par le Conseil constitutionnel, et la dernière réforme de la Constitution a écarté une fois de plus la possibilité de cette ratification. Quant à son ami Jean Lassalle, pourtant animateur jadis du Festival de Siros, il n’a pas brillé par son éloquence lors des débats de 2008…

– La France est ainsi faite qu’il suffit qu’un projet soit porté par une ferme volonté gouvernementale pour que les Français le dénigrent et le refusent bruyamment. Pensons seulement à la vaccination contre la grippe A… Alors qu’en cette matière, comme l’a bien vu M. Lasserre, l’attente positive des citoyens est essentielle : l’État peut imposer la remise en état d’un château dans une commune héritière de ceux qui mirent les châtelains à la lanterne, il ne peut faire revivre une langue dont la population s’est massivement désintéressée. C’est d’ailleurs le constat des linguistes qui ont étudié les politiques linguistiques à travers le monde.

Ainsi, Georges Mounin, qui fut professeur à Aix-en-Provence, « Discussion - Sur la mort des langues »1, réflexions sur trois publications de 1991-92 relatives aux langues menacées de disparaître dans « le monde entier sauf l’Europe, le monde arabe et l’Afrique dite francophone »; sur le peu de chance de faire revivre les langues abandonnées, p. 193 :

« Retrouver ses racines signifierait revenir au mode de vie de petites communautés rurales, vivant dans l’autarcie quasi totale, en économie fermée, non monétaire, et sans communications multiples, fréquentes et générales, avec l’extérieur. Lorsque cette phase est révolue pour une communauté, le retour en arrière est impossible. […] L’échec quasi total des aides officielles pour essayer de ranimer les langues déclinantes ou de reconquérir les jeunes générations les ayant abandonnées, l’essoufflement rapide (démographiquement) des ensei­gnements volontaristes de ces langues pourtant soutenues, tout cela est patent. »

Comme en écho, voici le point de vue de Louis-Jean Calvet, professeur à la Sorbonne, dans « Vie et mort des langues : les locuteurs décident » 2, (passim) :

« En fait, une politique linguistique ne réussit que lorsqu’elle va dans le sens que la prati­que sociale a esquissée, et ne parvient que rarement à imposer à une population une langue ou une réforme dont elle ne veut pas. On peut donc se demander s’il est possible de défendre (ou de sauver) une langue dont les locuteurs ne veulent plus. Car ce n’est pas alors la langue qui est en cause mais la valeur que ses locuteurs lui attachent. La politique linguistique ne peut pas les ignorer. »

Au demeurant, Les deux quotidiens de Pau du 12 novembre, La République et l’Éclair, m’ont encore fourni matière à réflexion :

– les 2/3 des pages et 3 sont consacrées à une interview de Marcel Amont, avec pour gros titre : « Le béarnais me relie à mon enfance », phrase qui résume ses propos : « Je suis français par la langue et béarnais par le souvenir de mes parents. Quand je parle béarnais, j’ai dix ans. »

– une photo du groupe béarnais Escota si plau, d’Angais, dont le nom en graphie occitane montre leur volonté — les pauvres ! — d’être modernes. Je ne l’ai pas gardée, mais voici celle qu’ils donnent sur leur site, prise à Salzbourg en 2006.


Tous n’ont pas les 80 ans de Marcel Amont ni mes 79, mais on cherche les moins de 40 ans. Et combien maitrisent vraiment le béarnais ?

« 3) Rien n’empêche les députés et les sénateurs de proposer une loi ?
« Mais c’est méconnaître l’équilibre institutionnel entre gouvernement et Parlement sous notre Cinquième République ! Malgré de timides avancées, vous savez comme moi que l’exécutif continue de maîtriser l’ordre du jour. »


C’est tout-à-fait exact. Mais les propositions de loi sur les langues régionales ont d’autant moins de chance d’être débattues que personne n’en a encore proposé, et que les Parlementaires se sont contentés de demander au Gouvernement de présenter un projet. En fait, le personnel politique joue au chat et à la souris, car aucun n’a vraiment d’idées réalistes pour proposer noir sur blanc quelque chose de concret.

4) "Enfin, je trouve tactiquement maladroit de s’opposer à une loi. Je crains que les "occitanistes" n’en prennent prétexte pour dévaloriser le fond de votre combat — que je partage — sur la diversité des langues d’oc. Cela n’a certes rien à voir, mais la malhonnêteté intellectuelle, en cette matière, ne peut être exclue..."


C’est “presque” tout-à-fait exact.
“presque”, car je ne m’oppose pas du tout à une loi; après avoir constaté que l’article ajouté à la Constitution ouvre de large perspectives juridiques à nos langues, j’ai simplement estimé qu’« Il ne reste […] pas grand-chose qui puisse être mis dans une loi […] ». Et j’ai conclu que les Parlementaires peuvent toujours déposer des propositions de loi, ce que mon ami trouve peu réaliste. Mais je me suis placé sur le plan du droit.

En réalité, ceux qui réclament une loi attendent de l’argent, pas des pages de Journal officiel. Or je n’ai personnellement aucune raison d’espérer que le Gouverne­ment ou le Parlement, actuels ou d’alternance éventuelle, soient prêts à endetter encore plus la France pour des actions dont le résultat est rien moins que garanti.
Car l’argent mis à poser des panneaux routiers écrits à l’occitane, ou même à la mode du Félibrige, ou des « Bona annada » sur les abribus ne crée pas un locuteur de plus dans le pays !

Les occitanistes honnêtes — il y en a encore, Dieu merci — le savent aussi bien que moi. Si l’on veut vraiment faire quelque chose pour nos langues, la première qui ne coutera pas un centime au contribuable, c’est de se rencontrer entre les différents courants et de mettre les choses à plat, en terme d’efficacité et de réception par la population, pas d’idéologie, quelle qu’elle soit.

C’est ma conviction, je l’affiche, et fais confiance à l’intelligence et à l’honnêteté de tous…

Hèt beroy !

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1 La Linguistique, vol. 28, fasc. 2, 1992, pp. 149-157; cité d’après sa reprise dans Walter (H.) et Feuillard (C.), Dir., Pour une linguistique des langues, Paris : Puf, 2006, pp. 181-196.

2 Le Courrier de l’UNESCO, Avril 2000 – Dossier Guerre et paix des langues.

jeudi 8 octobre 2009

Vu de Barcelone : « la famille linguistique occitane »

« Le Cave se rebiffe » titraient un polar de Simenon et un film des années 60. C’est finalement ce qui semble se passer dans le domaine d’oc, lassé du credo occitaniste dont les bases se fissurent. Ainsi, l’unité de la « langue d’oc » ou « langue occitane » est aujourd’hui sérieusement contestée par ceux qui préfèrent considérer qu’il y a plusieurs langues d’oc. Mais comme les occitanistes paraissent assez dépourvus pour répondre sur le fond aux critiques faites à ce credo, ils “tapent en touche” en laissant entendre que les « Caves » sont des proches du Front national, voire en les accusant purement et simplement de fascisme.

Ainsi en fut-il il y a dix ans quand un recteur rappela l’inévitable spécialisation par « dialecte » de l’épreuve d’« occitan » au baccalauréat. L’hebdomadaire occitaniste La Setmana, dirigé par l’actuel président de l’I. E. O. David Grosclaude, eut alors cette réaction rageuse (traduite de l’occitan) :
« L’enfermement institutionnalisé ! Une volonté évidente d’émietter la langue occitane. Cela va dans le sens de quelques idéologues inspirés par une droite dont nous connaissons l’amour pour tout ce qui est “provincial”. Nous revenons à la préhistoire à force de vouloir chasser le mammouth ! » (La Setmana n° 188 du 14 janvier 1999).

Et l’an dernier, une lettre de Jean-Pierre Darrrigrand reprochait au quotidien palois La République d’avoir publ ié un article émanant de l’Institut Béarnais et Gascon ; le numéro des 21-22 juin 2008 de ce journal allait publier des extraits de cette lettre :
« L’Institut Béarnais et Gascon, de création récente, eu égard aux 48 ans d’existence de Per noste dont j’ai été le président, distille des théories linguistiques sans fondement et se distingue par une idéologie d’extrême droite. Je m’étonne de les voir repris par votre journal.
« De grâce cessez d’alimenter et de soutenir une idéologie malsaine […] »
Bien sûr, ce lecteur indigné ne prouvait en rien l’absence de fondement des « théories linguistiques » visées.

Il y a donc de par le monde beaucoup de fascistes qui s’ignorent.
Mais avant de vous en citer quelques uns, je vais écarter les interrogations sur ce que peut signifier « langue », car les débats académiques sur ce sujet sont de peu d’intérêt pratique pour la conservation de nos « parlers ». Je prendrai seulement à témoin Jean-Paul Latrubesse, occitaniste béarnais bien connu et organisateur du concours littéraire des « Calams biarnés 1996 »; comme je le félicitais un jour d’avoir affiché ce concours sous un gros titre « Prose, Poésie, Théâtre en langue gasconne », il me répondit avec bon sens : « “langue” c’est plus valorisant. »
C’est pour être sûrs de ce titre « valorisant » que le lobby occitaniste qui veilla sur la gestation de la loi Deixonne en 1948-49 fit écrire « langue occitane », alors que le breton, le basque ou le catalan n’avaient pas besoin d’être ainsi qualifiés…

Or voilà qu’en 1975, les éditions parisiennes SOCODEL publient un ouvrage scolaire sans aucun engagement militant, l’Initiation au latin 5e de MM. Cousteix, Hinard et Weinberg; or on peut y lire, p. 56, « les langues d’oc ou langues occitanes » avec en exemples des mots provençaux notés en graphie occitane…

Certes, quand après enquête de terrain par le Recteur Jean-Louis Bruch le ministre René Haby osa parler de « langues d’oc » dans sa circulaire du 29 mars 1976, une association occitaniste attaqua cette circulaire pour illégalité… Mais son recours fut rejeté par arrêt du Conseil d’État du 7 octobre 1977, et donc cette expression plurielle validée.
Cependant, quand des « franchimands » ou un ministre de droite écrivent « les langues d’oc ou langues occitanes », on est en droit dans certains milieux d’y voir la main du fascisme abhorré.

Là où les affaires se gâtent, c’est quand les frères catalans de la Généralité de Catalogne s’en mêlent. Il convient de rappeler que les normes orthographiques de l’aranais, ou gascon du Val d’Aran (quelque 9 200 habitants), ont été fixées par un Décret 57/1983 du 14 janvier. Son court préambule précise qu’on a entendu établir ces règles « eu égard à la filiation de l’aranais dans la branche gasconne de la famille linguistique occitane » 1. Le décret est signé par Jordi Pujol, Président de la Généralité, et par ses conseillers à la culture et à l’enseignement. Pour ces autorités catalanes, bien placées pour apprécier les affaires d’oc, l’« occitan » n’est donc pas une langue, mais une « famille linguistique »; en revanche, on ne peut dire si le gascon, « branche » de la famille, est pour elles une langue, dont l’aranais serait une variété locale, ou s’il est une « sous-famille » comprenant la langue aranaise.

Mais peu importe, l’essentiel est dit : l’« occitan » n’est pas une langue, mais une « famille linguistique ».

Et curieusement, dans sa même lettre de juin 2008, Jean-Pierre Darrigrand consacrait explicitement le pluriel des « langues d’oc » : « Militant pour la défense de notre langue, je me réfère à l’occitan comme ensemble des langues d’oc, au titre même que le français l’est aux langues d’oïl. Je parle le gascon du Béarn […] ».
Certes, la comparaison avec le français est boiteuse, ou suppose une conception du français et des langues d’oïl bien différentes de celle des linguistes qui se sont prononcés sur ce sujet, les Pr. Henriette Walter et Bernard Cerquiglini notamment. Mais l’affirmation du « gascon du Béarn » ne laisse aucun doute sur son rang de « langue » pour ce militant.

Mon Dieu ! que de fascistes qui s’ignorent ! Il parait urgent d’instituer une « Santa Inquisicion occitana » pour y mettre bon ordre ! Mais non ! L’ordre étant une valeur de droite et d’extrême-droite, cela n’est même pas envisageable. Alavéts, qué ha ?


1 « de respecte a la filiació de l'aranès dins la branca gascona de la família lingüística occitana » (Diari [Journal] oficial de la Generalitat de Catalunya du 16 mars 1983, pp. 617-620).
2 Alors, que faire ?


Jean Lafitte 7 octobre 2009

dimanche 17 mai 2009

Garder et transmettre la langue et la culture du Béarn et de la Gascogne


Message du 16 mai 2009 adressé à J. Lafitte sous le titre de « Témoignage »

Bonjour,


C'est avec attention que j'ai pris connaissance des enjeux et du danger qui guette la conservation et la promotion de la langue, et, plus globalement, de la culture gasconne.


Vos textes et vos alertes, transmis via le net, reflètent en effet la réalité du "terrain".

Moi même originaire de la région paloise, je me suis rendu la semaine dernière dans mon cher Béarn.


J'ai pu constater, effectivement, que certaines personnes de la région du nord de Pau (Lalonquette, Thèze..), essentiellement des agriculteurs, comprennent et parlent ce qu'ils nomment volontiers le "patois" qui est bien évidemment le béarnais.Moi-même apprenant la langue béarnaise, j'ai pu réutiliser des phrases et expressions ou même simplement des mots appris dans l'ouvrage de JM Puyau ("comprendre, parler, lire, écrire le béarnais"). J'ai donc pu bien évidemment constater que la langue apprise et enseignée par l'IBG est bien la langue authentique du Béarn. Je pense que cette survivance de notre langue dans un état pourtant réputé jacobin et centralisateur témoigne, s'il en était besoin, de la force et de la réalité d'une culture et d'une identité gasconne, même si celle ci peut dépasser le seul domaine linguistique.


Je me suis également rendu en Bigorre, et, j'ai fait le même constat que vous : face à une réalité de l'existence d'un patois gascon authentique encore parlé semble-t-il en campagne, je me suis vite rendu compte que ce qui paraît être enseigné dans la région concernant les langues locales, est l'occitan..


Je ne comprend donc pas comment on peut enseigner une langue, à savoir l'occitan, dans une région qui ne l'est manifestement pas et qui, pis, possède bien une langue qui lui est propre, à savoir le gascon plus communément appelé, dans la région, le "patois". La Gascogne n'a pas besoin d'un occitan en guise d'espéranto. Quel est l'intérêt d'enseigner une langue occitane qui n'est pas comprise par les authentiques "autochtones" gascons ?

En effet, il me semble bien que l'article de la constitution défendant les langues régionales s'applique bien au gascon et non pas à un occitan universitaire qui n'a pas de réalité vécue dans la population.


Il est donc révoltant de constater, selon les mels que vous me faites parvenir, que les occitanistes aient le soutien des élus locaux. Qu'en est-il de l'IBG, de son influence éventuelle auprès des élus ?La spécificité de la langue gasconne s'expliquant notamment par son substrat aquitanien, doit être promue auprès de la population et présentée comme un élément pérenne et authentique de notre région, qui, ne l'oublions pas, a également une histoire distincte de l'Occitanie, l'exemple du Béarn est éloquent à ce titre.


Il convient dès lors de mobiliser toutes les bonnes volontés en ce sens et d'informer les élus sur la nécessaire conservation de notre patrimoine régional qui inclut notamment la langue qui, ne l'omettons pas, disposait d'un statut officiel de langue d'état jusqu'au XVII ème siècle en notre cher pays de Béarn.


Mais, combien sommes nous face aux occitanistes ?


Continuons,

En daban ! Adichat,

[signature]


Réponse de Jean Lafitte le 17 mai [rectifiée le 18 mai]

Je réponds aux questions soulevées ou posées dans l’ordre du message reçu :

1 – État “jacobin” et conservation du gascon

« Je pense que cette survivance de notre langue dans un état pourtant réputé jacobin et centralisateur témoigne, s'il en était besoin, de la force et de la réalité d'une culture et d'une identité gasconne, même si celle ci peut dépasser le seul domaine linguistique. »

L’état “jacobin” est un produit de la Révolution, elle-même fille du courant de pensée du « siècle des Lumières » ou des « Philosophes » du XVIIIe siècle. Les Girondins ou Brissotins étaient aussi centralistes que les Montagnards ou Jacobins, même si la fausse accusation de « fédéralisme » proférée contre eux par ces derniers est à l’origine de l’idée reçue qu’ils s’opposaient à la centralisation. Et s’ils étaient plus libéraux que les Montagnards en matière politique et économique, ils ont participé à la création des départements qui ont fait disparaître les provinces de ce que l'on a appelé péjorativement l’« Ancien Régime ».

Ces Provinces jouissaient en effet de « privilèges » — on dirait aujourd’hui « libertés » — avec leurs États et les Parlements qui rendaient la justice sur la base des ordonnances et édits royaux qu’ils avaient préalablement « enregistrés » : le refus d’enregistrer aboutissait souvent à des modifications de ces textes. Cela n’était pas supportable pour les Révolutionnaires, qui y voyaient un frein au changement qu’ils comptaient imposer au pays.

Aussi, sous la Révolution, n’y eut-il en fait personne pour défendre les « identités régionales » (on aurait dit alors « des provinces »), vestiges de l’Ancien Régime. C’est là un fait historique essentiel qui explique sans doute la faible résistance des autres langues historiques au sein de l'État français, à la différence de ce qu’on connu les états voisins.

Napoléon Bonaparte a trouvé la formule excellente et organisé en conséquence l’État (Consulat et Empire). Les régimes qui lui ont succédé ont fait de même, jusqu’aux timides lois de décentralisation de la fin du siècle dernier.


Au plan linguistique, la “centralisation” s’est faite toute seule sous l’Ancien Régime, par le fait que les élites de toutes les provinces ont jugé profitable d’adopter le français; l’ordonnance générale sur le fait de la justice, police et finances d’aout 1539 dite « édit de Villers-Cotterêts », dont l’article 111 impose le français pour les actes produits en justice, n’a fait qu’entériner une évolution déjà accomplie ; ce fut magistralement démontré par Auguste Brun dans sa thèse de 1923, incontestée depuis, Recherches historiques sur l’introduction du français dans les provinces du Midi. Mais cela ne concernait que la sphère publique, alors que la vie intellectuelle se faisait principalement en latin : bien avant les écoliers de la IIIe République, l’élève d’un collège du XVIe s. surpris à parler français au lieu du latin obligatoire recevait un « signal » qu’il passerait au premier compagnon qu’il surprendrait en faute etc. Il a fallu Descartes pour que le français s’empare de la philosophie ! Et la vie de tous les jours se faisait dans les multiples langues naurelles (dites savamment “vernaculaires”).

Mais ce que je viens de dire du français se reproduisait dans le Royaume de Navarre, qui avait pour souverain le vicomte de Béarn depuis 1481 : la vie intellectuelle était en latin, la vie publique en béarnais, et la vie de tous les jours en basque ou en béarnais suivant les secteurs. Les dispositions de l’« édit de Villers-Cotterêts » avaient leur équivalent en Béarn-Navarre, au profit du seul béarnais.

Mais le français était la langue de prestige, comme en témoigne cette chanson de De Mesplès (1729-1807) où la bergère dit son admira­tion pour son berger qui « sap parla plân lou francés », sait bien parler le français.

Quant à la conservation du gascon / béarnais dans les familles rurales, il ne faut pas s’illusionner. Certes, jusqu’au XVIIe s. inclus, les Gascons ont eu une conscience claire de leur identité gasconne et du nom de leur langue, gascon, et les Béarnais n’ont jamais cessé de se sentir Béarnais ; mais, ce n’est pas parce que les locuteurs avaient une conscience particulière d’une culture propre qu’ils ont gardé leur langue ; c’est parce que c’était celle de la vie et du travail dans un milieu dont les techniques de production évoluaient peu, au rythme des siècles, sans importation massive et répétée de techniques nouvelles, toutes assorties de vocabulaires nouveaux que la langue autochtone se contenterait d’adapter : le “tracteur” qui aurait dû être un tractou en gascon authentique (cf. “pasteur” / pastou) était nommé tractur par simple adaptation phonétique, etc.

Et cela ne fonctionnait que dans le cercle du village ou du canton. Dès qu’il fallait aller en ville, le français s’imposait, et de même dans les relations — encore rares — avec les administrations, ou les notaires.

N’oublions pas cependant que ce recul du béarnais / gascon devant le français, langue de prestige et de communication à distance — langue “véhiculaire” dit-on savamment — avait été précédé au Moyen Âge, pour les mêmes raisons, par semblable recul du basque devant le gascon au Nord des Pyrénées, jusqu’au delà de Saint-Sébastien.

2 – Enseignement : langue autochtone ou “espérantoccitan” ?

« Je me suis également rendu en Bigorre, et, j'ai fait le même constat que vous : face à une réalité de l'existence d'un patois gascon authentique encore parlé semble-t-il en campagne, je me suis vite rendu compte que ce qui paraît être enseigné dans la région concernant les langues locales, est l'occitan.

« Je ne comprend donc pas comment on peut enseigner une langue, à savoir l'occitan, dans une région qui ne l'est manifestement pas et qui, pis, possède bien une langue qui lui est propre, à savoir le gascon plus communément appelé, dans la région, le "patois". La Gascogne n'a pas besoin d'un occitan en guise d'espéranto. Quel est l'intérêt d'enseigner une langue occitane qui n'est pas comprise par les authentiques "autochtones" gascons ? »

Ce que je sais de l’« occitan » enseigné en Bigorre, et plus généralement dans les Hautes-Pyrénées, c’est que c’est, au moins dans l’intention sincère et affichée des enseignants, un authentique gascon du crû. Au point qu’un ami professeur d’« occitan » originaire de Biscarrosse et muté à Vic-en-Bigorre avait été sérieusement chapitré par un ancien, pour qu’il enseigne le gascon du lieu, pas celui de Biscarrosse !

Mais prisonniers de l’idéologie occitaniste et encadrés durement par des inspecteurs académiques acquis à l’occitanisme, les enseignants usent de la graphie occitane et appellent leur gascon « occitan ».

Je crois bien aussi qu’il en est de même en Béarn, même si c’est avec peut-être moins de conviction “autochtone” que dans les “Hautes”.

Allié au fait que beaucoup d’enseignants ont appris la langue dans les livres et en cours universitaires fortement occitanisés, cela préjudicie gravement à l’efficacité de l’enseignement dispensé et encore plus à sa réception par la société des locuteurs. La réflexion de l’ami correspondant en témoigne. Pour plus de détails, voir l’Annexe I.

3 – La garantie constitutionnelle

« En effet, il me semble bien que l'article de la constitution défendant les langues régionales s'applique bien au gascon et non pas à un occitan universitaire qui n'a pas de réalité vécue dans la population. »

Tout à fait juste ! « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » dit le nouvel article 75-1 de la Constitution. Or le « patrimoine », c’est l’ensemble des biens d’une personne, et par extension, ce qu’elle transmet à ses héritiers; vu par ceux-ci, c’est l’héritage reçu de ses ancêtres, pas une construction universitaire. Voir en Annexe II une parfaite illustration du point de vue universitaire sur l’« occitan ».

4 – L’avance des occitanistes

« Il est donc révoltant de constater, selon les mels que vous me faites parvenir, que les occitanistes aient le soutien des élus locaux. Qu'en est-il de l'IBG, de son influence éventuelle auprès des élus ?

[…]

« Mais, combien sommes nous face aux occitanistes ? »

Les occitanistes béarnais puis gascons ont d’abord été des enseignants amoureux de leur langue ancestrale, qui n’ont trouvé que l’occitanisme sur leur route quand ils ont voulu installer au pays l’enseignement scolaire autorisé par la loi “Deixonne” du 11 janvier 1951. Mais si leur profession leur permettait une action efficace dans ce sens, elle les a desservis par une tendance forte à se fermer sur elle-même, ses méthodes, ses solidarités, ses hiérarchies, ses syndicats, perdant finalement le contact avec les locuteurs naturels qui avaient transmis la langue dans les familles jusque vers les années 1950.

Cette perte de contact a été aggravée par l’adoption de la graphie occitane, conçue à l’origine par deux instituteurs languedociens, Prosper Estieu (1860-1939) et Antonin Perbosc (1861-1944) pour qui le problème de la transmission de la langue ne se posait pas et qui imaginaient qu’en écrivant à la façon des troubadours, ils allaient refonder une langue littéraire qui brillerait comme celle de ces derniers aux XIIe et XIIIe s. L’affaire fut reprise en mains par le pharmacien audois Louis Alibert (1884-1959), latinisant et doté d’un diplôme universitaire d’études méridionales obtenu comme étudiant de J. Anglade; son but restait de fonder une langue littéraire de l’ensemble du Midi, car la question de la transmission de la langue ne se posait toujours pas quand il publia à Barcelone sa Gramatica occitana segón los parlars lengadocians (1935-37).

Professeur à ce qui deviendrait le lycée d’Orthez, le Béarnais Roger Lapassade (1912-1999), était à la tête de ces enseignants béarnais devenus occitanistes, et malgré des réticences qu’il n’a pas cachées au fil de ses écrits, il a adopté cette graphie présentée comme scientifique et authentique, apte à rendre à la langue sa « dignité ».

Voici ce que j’en ai écrit dans ma thèse :

« […] Dès le n° 1 de la revue Per nouste de juin 1967, p. 12 bis, […] le “corporatisme” affleure quand les enseignants qui président à ses destinées présentent ainsi un poème écrit en graphie moderne des Félibres :

« Nous publierons dans ce bulletin des textes dans les deux graphies. Nous ne cachons pas, en tant qu’enseignants, notre préférence pour la graphie normalisée en usage dans les Universités - à la fois plus claire et plus logique. »

« L’usage universitaire est donc mis en premier, sans doute parce que le mot “université” est tout auréolé de prestige pour ces enseignants du secondaire — on est un an avant la contestation massive de mai 1968 — et les qualités de la graphie “normalisée” sont affirmées, sans preuve particulière. À la vérité, mis à part M. Grosclaude, ce sont tous des béarnophones de naissance, qui ont une connaissance intime de la langue à laquelle ils sont profondément attachés […]; ils ne se sont donc pas méfiés des pièges que cette graphie tendraient bientôt à de moins experts.

« Une page de ce même numéro, Comment lire le gascon (pp. 16-17), limitait en effet à trois règles ce qu’un gasconophone a besoin de savoir pour s’y retrouver. Pourtant, cela dut créer un choc parmi les premiers lecteurs béarnophones, dont témoigne en particulier un billet publié dans le numéro suivant. Il émane d’une vieille mercière d’Orthez, héritière d’une lignée d’écrivains béarnais célèbres […], membre elle-même de l’Escole Gastou Febus depuis 1921 (Reclams de Biarn e Gascougne n° 5, May 1921, p. 80) et certainement pourvue d’un bagage littéraire enviable :

« Je ne sais pas du tout pourquoi ceux de PER NOUSTE écrivent en Français d’aujourd’hui, et non pas en latin, ou ne parlent pas comme le défunt Turoldus 1. Il faut savoir ce que vous voulez : le parler béarnais de tous les jours comme il se parle en différents lieux et s’écrit de même avec ses particularités qui changent d’un endroit à l’autre, ou si vous voulez revenir “aux sources savantes” [en français dans la lettre] pour mieux se faire comprendre de Vladivostock à Quimperlé avec un espéranto sans saveur. Avec ça, merci quand même de laisser une petite place à ceux qui ne sont ni instituteur, ni professeur, et qui ne savent lire que de l’écriture, et non pas de la “graphie”. Je vous salue, Maitre, et portez-vous bien toujours. » (Marguerite Lafore, rue des Jacobins, Orthez, Per nouste n° 2, Oct. 1967, Courrier des lecteurs, p. 23; traduit du béarnais.)

« Malheureusement, les dirigeants de Per nouste ne surent pas entendre cet avertissement et jugèrent sans doute qu’avec quelques explications, leur message finirait par passer. M. Grosclaude fut donc chargé de présenter la nouvelle graphie dans ce même n° 2 de la revue, les Béarnais béarnophones de l’association ayant apparemment jugé plus importante la compétence supposée de ce Lorrain qui avait suivi des stages que la connaissance intime qu’ils avaient eux-mêmes de leur langue ancestrale. »

Mais comme l’autisme est souvent l’infirmité de ceux qui se croient investis d’une mission supérieure, l’occitanisme béarnais et gascon a continué imperturbable sur son erre, sauf à perdre de temps en temps quelques lucides qui ont fini par découvrir l’erreur et décidé courageusement de quitter ce navire en perdition. Lapassade fut lucide, mais trop âgé pour avoir le courage d’une telle rupture. Il a néanmoins laissé transparaitre sa déception dans le poème Drapèus arlats (Drapeaux mités) daté du 24 juin 1994 et placé en tête de son dernier recueil La Cadena (1997) : des trois drapeaux qu’il a suivis dans sa vie, deux l’ont trompé, le sang et or (occitaniste à la croix de Toulouse) et le tricolore; « seul le carré béarnais […] et ses deux vaches rouges dans l’or du blé mûr » ont réjoui son cœur.

Or depuis bientôt 50 ans que des occitanistes militent en Béarn, ils ont fini par se faire entendre et par convaincre les élus — peu ou pas informés — qu’ils détenaient la vérité scientifique et que ceux qui pensaient différemment étaient dans l’erreur, voire d’affreux réactionnaires liés aux partis de droite extrême.

En face nous avons l’Institut béarnais et gascon, né en 2002 par succession à Pays de Béarn et de Gascogne fondé en 1995 pour réagir au coup de force qui a abouti à créer l’Institut occitan de Pau à la place de l’« Institut culturel béarnais et gascon » que les élus du département avaient promis, à l’image de l’Institut culturel basque.

Grâce au dévouement d’une poignée de gens décidés, et outrés de voir leur langue sacrifiée, l’I.B.G. s’étoffe peu à peu et commence, avec très peu de moyens, à faire entendre sa voix. Mais on ne rattrape pas en quelques mois 50 ans de propagande auprès des élus et des journalistes qui ont d’autres préoccupations que de se renseigner personnellement sur les questions complexes de langue régionale…

5 – Ne pas baisser les bras, ils sont dans l’erreur

« La spécificité de la langue gasconne s'expliquant notamment par son substrat aquitanien, doit être promue auprès de la population et présentée comme un élément pérenne et authentique de notre région, qui, ne l'oublions pas, a également une histoire distincte de l'Occitanie, l'exemple du Béarn est éloquent à ce titre.

« Il convient dès lors de mobiliser toutes les bonnes volontés en ce sens et d'informer les élus sur la nécessaire conservation de notre patrimoine régional qui inclut notamment la langue qui, ne l'omettons pas, disposait d'un statut officiel de langue d'état jusqu'au XVII ème siècle en notre cher pays de Béarn.

[…]

« Continuons, »

Oui, vous avez tout à fait raison, cher ami correspondant. J’aurai bientôt 79 ans, et je vois en vous, et plusieurs autres des nouvelles générations d’actifs, l’espoir d’un véritable soulèvement contre la désinformation, le double langage, et la captation des deniers publics sans aucun contrôle des résultats quant à la pratique de la langue.

Mais il nous faudra beaucoup de courage pour être lucides et réorienter les actions pour notre langue et notre culture : la loi Deixonne est arrivée 50 ans trop tard, juste au moment où les parents renonçaient à transmettre à leurs enfants une langue jugée dépassée pour la réussite dans le monde moderne.

Or cet enseignement scolaire, que Mistral appelait déjà de ses vœux le 21 mai 1877, dans son discours de la Sainte-Estelle d’Avignon, ne pouvait être efficace que pour « grammatiser » la pratique d’une langue maternelle et ouvrir les enfants sur sa littérature. Y recourir après 1951 pour suppléer la transmission familiale aurait pu encore être utile tant que les parents et l’environnement social des élèves parlaient la langue… à condition de n’enseigner qu’une langue facilement reconnaissable par ces adultes, y compris dans son écriture.

En changeant le nom, l’emballage (graphique) et le contenu du pot, on a coulé les ventes du yaourt linguistique (cf. Annexe I).

Et aujourd’hui, même en redressant tout cela, prétendre revitaliser la langue par l’école est totalement illusoire et n’aboutit qu’à jeter l’argent public par les fenêtres; seuls y gagnent des enseignants coupés du monde et heureux de leur sort, avec des petites classes pas trop chargées et des contrôles limités à la vérification de l’orthodoxie occitane, comme quand tel inspecteur reprochait à un enseignant provençal d’employer « lou lapin » au lieu de « lo conilh », totalement ignoré des Provençaux !

Il faut absolument réorienter cet enseignement scolaire dans le sens de la découverte de l’histoire du pays, appuyée à partir du XIIIe s. sur des textes d’époque que quelqu’un qui découvre la langue n’a pas plus de mal à comprendre qu’un conte de Lalanne ou de Camélat. Et à partir de ces sources historiques, on descend le cours des siècles et on arrive à la langue moderne, comme on passe de la traite à la main aux trayeuses électriques.

Bien sûr, cela suppose une formation des enseignants autre que celle que leur dispense l’Université, bourrée de langue de Troubadours qui n’ont jamais écrit en gascon, si l’on en juge par ce qui nous est parvenu. Avec par exemple beaucoup de travaux pratiques sur les cartes de l’Atlas linguistique de la Gascogne, pour découvrir la langue gasconne et béarnaise telle qu’elle était prononcée entre 1940 et 1960, dans son unité et sa variété.

Belle occasion de mettre « l’imagination au pouvoir », comme on l’écrivait sur les murs de mai 1968 ! Mais est-on encore capable de passer des slogans aux actes ?


A vous, lous joéns, de v’amuxa clavedéns e hardits !



ANNEXE I

Extrait du hors série de Ligam-DiGaM La langue gasconne –

novembre 2007, révisé mai 2009

§ IV - Le nom de la langue : “gascon”

Attesté depuis près de 700 ans

Le nom de gascon désigne la langue propre de Gascogne depuis au moins 1313, date d’un acte en gascon dressé par le notaire royal de Garris et aujourd’hui conservé aux archives royales de Navarre à Pampelune.

Et depuis, cette langue de Gascogne n’a jamais cessé d’être appelée ainsi, et notamment par l’illustre Gascon que fut Michel de Montaigne, et même par le Bordelais Pierre Bernadau qui n’avait que ce mot pour nommer le « patois » de Bordeaux et de sa région dans le cadre de l’enquête de l’abbé Grégoire en 1790.

Or depuis quelques temps, l’occitanisme veut le remplacer par celui d’« occitan de Gascogne »; d’abord, l’expression est tautologique (ou “se mord la queue”), puisque la Gascogne a tellement changé de frontières au cours des siècles qu’on tend à la définir aujourd’hui comme le domaine du gascon !

Mais pire encore, cette nouvelle désignation ne peut qu’accélérer la mort de la langue, comme le fera vite comprendre une histoire récente de yaourts : une loi nouvelle réservant l’appellation de « bio » aux produits de l’agriculture biologique, la firme Danone a dû changer le nom de ses yaourts « Bio » et a choisi de les renommer « Activia »; elle a donc été contrainte à une couteuse campagne publicitaire pour convaincre les consommateurs que le produit restait le même, sous un emballage inchangé.

Pendant ce temps, l’occitanisme change à la fois le nom du gascon, son emballage, c’est à dire son système d’écriture, et le “produit” lui-même.

Or les Catalans nous ont montré le chemin : dès 1935, ils ont solennellement signifié aux occitanistes que leur langue n’était pas de l’occitan et qu’elle aurait tout à perdre de ne pas s’afficher sous son nom ancestral et d’être confondue avec les parlers d’oc de la France. Et comme les Catalans sont forts et riches, on ne les a pas contredits. Il en est de même des quelque 5 000 locuteurs du Val d’Aran qui appellent aranais leur dialecte gascon.

Or en 1989, J.-M. Sarpoulet, aujourd’hui responsable des langues régionales au Rectorat de Bordeaux, pouvait écrire dans la revue occitaniste Amiras (n° 20, p. 52) :

« si nous sommes plus Ossalois ou Aspois que Béarnais, nous sommes plus Béarnais que Gascons… (De toute façon, l’Occitan, lui, est inconnu comme point du schéma ethnique) ».

En négatif, interviewé au terme de son contrat, le premier directeur de l’Institut Occitan de Pau reconnaissait que sous ce nom, l’Institut était ressenti comme étranger par les Béarnais et Gascons (Sud-Ouest, 7 août 2003).

C’est dire que rien ne remplace une telle marque identitaire pour attacher une population à sa langue héréditaire; l’abandonner dans le contexte actuel, c’est mener la langue à sa perte.

mais concurrencé par « béarnais» en Béarn

« nous sommes plus Béarnais que Gascons » écrivait à juste titre M. Sarpoulet en 1989. Nous ne devons pas oublier en effet que la quasi indépendance politique de la vicomté de Béarn lui a valu non seulement d’user de son gascon comme langue de l’administration vicomtale et des notaires, mais encore a solidement établi dans l’esprit des Béarnais le sentiment d’une identité distincte de celle des Gascons; et de même pour leur parler, qui se continue pourtant sans changement quand on franchit les anciennes frontières de la vicomté.

L’Annexe IV, pp. 53-56, fait le point de la question, et conclut : autant il est raisonnable de conserver le nom de béarnais pour le gascon du Béarn, autant il serait déraisonnable d’y voir une langue détachée de l’ensemble gascon.

ANNEXE II

Extraits d’un article de X. Lamuela (1988)

et des commentaires de J. Lafitte (mai 2009)

1 – Extrait d’un article du Pr. Catalan Xavier Lamuela (1988)

Par message du 13 mai 0:01 intitulé Un extrait éclairant du livre d’Henri Barthés, j’ai diffusé les 48 dernières pages des Études historiques sur la « Langue occitane » de M. Henri Barthés, authentique Languedocien qui ne s'est jamais senti « Occitan ». Eût-il été mauvais, cet ouvrage aurait laissé tout le monde indifférent.Mais son sérieux et l’accumulation de citations d’auteurs de toutes sortes, historiens et linguistes notamment, qui venaient étayer le propos de l’auteur ont obligé les occitanistes à réagir, et souvent méchamment, sans qu’il y ait grand monde, au Félibrige notamment, pour prendre la défense de ce Félibre.

Le hasard d’une recherche dans ma collection de Reclams, la revue de l’Escole Gastoû Fébus, m’a fait retrouver la critique de ce livre qu’y avait publié le Catalan Xavier Lamuela, aujourd’hui professeur à l’université de Girone : Es diferentas concepcions dera lenga d’òc (Henri BarthésÉtudes historiques sur la « Langue occitane »”, Reclams, Seteme 1988 – 7/9, pp. 130-138.

Les deux premières pages, sorte d’exposé liminaire, justifient le nom d’« occitan » pour l’ensemble des parlers d’oc de France et l’incomparable valeur de la graphie unitaire de l’I.E.O. Sur le premier point, l’auteur cite le Pr. Joseph Anglade, qui mourut en 1930 comme titulaire de la chaire de langue et littérature méridionales de l’Université de Toulouse :

« Il semble que, au moins pour désigner l’ensemble des dialectes modernes du Midi de la France, il serait temps de renoncer à ce mot de provençal, qui ne peut prêter qu’à la confusion, (…). Le terme occitan, occitanique, occitanien ou tout autre de ce genre conviendrait parfaitement pour désigner l’ensemble des dialectes d’Oc; et si ce terme n’a pas pour lui la consécration de l’histoire et surtout de l’usage, il l’obtiendrait facilement ». (ps. 10-11). »

Et X. Lamuela de poursuivre (en aranais, que je traduis ici) :

[131] Et de notre temps il l’a obtenue complètement. Pour le voir, il suffit d’un coup d’œil à la bibliographie internationale sur la langue d’oc :

Frede Jensen, The Syntax of Medieval Occitan (Tübingen 1986).

Georg Kremnitz, Das Okzitanische. Sprachgeschichte und Soziologie (Tübingen 1981).

Iona Vintilä-Rädulescu, Introducere ín studial limbit occitane (provensale) (Bucuresti 1981).

Le livre de Silvio ELia Preparaçao à linguistica românica (Rio de Janeiro 1974) porte : « A linha que atualmente separa o provençal (langue d’oc, occitânico) do francês (…) ». (p. 154).

La Nuova introduzione alla filologia romanza (Bologna 1985) di Lorenzo Renzi énumère ainsi les langues romanes : « Il portoghese; lo spagnolo; il catalano; il francese; l’occitanico; il franco-provenzale; il sardo; l’italiano; il romancio, il ladino e il friulano; il dalmatico; il rumeno » (p. 161).

Le chapitre 7 du manuel préparé par Martin Harris et Nigel Vincent The Romance Languages (London 1988), écrit par Max W. Whecler, s’appelle Occitan (ps. 246-278).

La diffusion d’un nom unitaire et sans ambigüité est fondamental pour la promotion actuelle de la langue entre les habitants de son domaine linguistique.

2 – Extrait des commentaires de J. Lafitte (Mai 2009)

Sollicitude catalane

[…] cet article vient d’un linguiste catalan, professeur à l’université de Gérone.

Voilà donc un Catalan, fier de rappeler que le catalan est une langue distincte de l’occitan, qui vient donner des leçons aux Français du Midi sur la façon de gérer leurs parlers ancestraux. Dans son exaltation de la graphie occitane, il va même jusqu’à rappeler comme une de ses gloires qu’« au XIIIe siècle la chancellerie portugaise, poussée par le prestige des troubadours et par la rationalité de ces conventions, adopta les graphies lh et nh, qui sont encore les graphies habituelles dans cette langue. » Mais alors, pourquoi les Catalans font-ils bande à part avec leur ll castillan et leur ny ?

Une autre contradiction, et qui n’est pas des moindres, est le choix linguistique de Xavier Lamuela pour son article. Celui-ci portant sur un livre écrit en français par un Languedocien, on aurait pu penser que l’auteur choisirait pour s’exprimer le français ou le languedocien ; à la rigueur le béarnais, langue majoritaire dans la revue Reclams où il serait publié. Eh bien ! non. Il écrit en aranais, parler gascon fortement marqué par le catalan et qui n’est en usage que dans le Val d’Aran, qui doit compter quelque 6 000 habitants ; tout en y apportant quelques modifications pour rejoindre le gascon général, comme il s’en explique en une note finale. Qu’est donc devenu son discours pour une langue qui s’acheminerait vers l’unité, de Bayonne à Nice et de Salses à Montluçon ?

[…]

Mais plus profondément encore, ce professeur vit sur un petit nuage. L’« occitan » est pour lui une matière d’études et d’enseignement universitaires, pas la langue vivante que des gens en chair et en os ont apprise de leurs parents et parlent encore dans la vie courante. Est à cet égard symptomatique le fait que pour montrer la “réussite” du vocable « occitan », il ne cite qu’une série d’ouvrages universitaires tous écrits par des professeurs étrangers à la France — a fortiori aux terres d’oc ! — et publiés à l’étranger. Lui qui est si prompt à dénoncer l’incompétence linguistique d’H. Barthés, a-t-il jamais entendu parler de cette discipline qu’on nomme la sociolinguistique, et dont le B.A. BA est qu’on ne sauve pas une langue sans le peuple qui la parle ?

[…]

L’arroseur arrosé ?

D’emblée, au moment d’aborder la critique de l’ouvrage d’H. Barthés, X. Lamuela définit la « curieuse […] méthode » de l’auteur en une « combinaison […d’] éléments » dont la « citation partielle ». Je n’ai pas su voir qu’il en donne des exemples, mais j’ai pu constater qu’il n’échappe pas lui-même au reproche : il fait en effet référence au rapport — qu’il appelle « article » — de Pierre Bec « “Per una dinamica novèla de la lenga de referencia : Dialectalitat de basa e diasistèma occitan”, (Annales de l’Institut d’Etudes Occitanes, 4é série, 6, 1972, ps. 39-61 ». Or après avoir défini l’« occitan » par ses grands « dialectes », dont le gascon en dernier lieu, P. Bec s’empresse de l’écarter : « que nous laisserons de côté dans ce rapport » (p. 41). Et il nous en dévoile la raison un peu plus loin : « il s’agit […] en fait d’une langue très proche, certes, mais spécifique (et ce dès les origines), au moins autant que le catalan. » (p. 47). C’est là une sacrée brèche dans l’unité occitane ! Mais X. Lamuela n’en dit mot.

[…]

1 [Note de Mai 2009] Pour ceux qui en savent moins que cette dame, « Turoldus est le nom qui figure au dernier vers de la plus ancienne rédaction de la Chanson de Roland (manuscript d’Oxford), composé dans un dialecte anglo-normand vers 1090 : “Ci falt la geste que Turoldus declinet”. Cette phrase est sujette à de multiples interprétations. Signifie-t-elle que Turold en est l'auteur ? Est-il simplement le copiste du manuscrit ? Est-il l’auteur même de la rédaction d’Oxford ou d’une de celles qui l’ont précédée ? […] » (Wikipedia).

Jean Lafitte 17 et 18 mai 2009


mercredi 13 mai 2009

Merci l'Express !

Chers amis,

C'est avec une très grande satisfaction que j'ai vu dans l'Express une demi-page de présentation du livre sur lequel Guilhem Pépin et moi-même avons travaillé pendant plus d'un an !

Ci-joint une mauvaise photo de la page et surtout le texte, non tronqué sur la marge, en format .doc.

Vous apprécierez l'intelligente présentation de la problématique, qui n'est pas tellement dans le livre lui-même, mais qui correspond bien aux raisons qui nous font nous battre pour la reconnaissance et surtout l'enseignement approprié de nos langues.

Son auteur est destinataire de ce message, vous pourrez le remercier et le féliciter avec moi.

Hèt beroy,

J.L.

LES LANGUES D’OC

L’Express, 17 mai 2009 – p. 60

Une grande famille

L’occitan existe-t-il ? Contrairement aux apparences, la réponse n’est pas seulement linguistique, mais est également politique. C’est que l’Etat, en France, ne s’est pas seulement contenté de chercher à imposer une langue commune, il a de fait imposé une langue unique. Face à ce rouleau compresseur, de nombreux amoureux des langues d’oc ont opté pour un choix stratégique : se réfugier sous la bannière de l’occitan, afin de faire masse géographiquement (32 départements) et numériquement (plusieurs centaines de milliers de locuteurs).

Logique, cette option recèle néanmoins un grave inconvénient : l’occitan est, en partie, une création a posteriori. Car si un Toulousain parle languedocien, un Aixois, lui, parle provençal. Des distinctions qui font sourire dans les salons parisiens, dont les élites ont été formatées dans le mépris des « patois », mais qui n’en sont pas pour ceux qui savent les chefs-d’œuvre de Mistral ou de Camélat. C’est pourquoi un autre courant, s’appuyant sur l’histoire, réclame la prise en compte de la diversité des langues d’oc (1). Persuadé que c’est en les enseignant dans leur authenticité que l’on parviendra à les sauver.

Premiers à se mobiliser, les « occitanistes » sont aujourd’hui les mieux intégrés dans les instances de pou­voir : Education nationale, médias, assemblées locales… Ont-ils pour autant raison ? Si l’on s’en tient à la linguis­tique, rien n’est moins sûr : un certain consensus se fait jour pour reconnaître au moins le gascon, qui multiplie les spécificités, comme une langue distincte. Politiquement, en revanche, la nécessité de créer un rapport de forces avec l’Etat central se tient. Le regain du catalan, en Espagne, le prouve.

Alors, une ou des langues d’oc ? Le gouvernement,a annoncé une grande loi sur les langues de France pour 2009 ou 2010. Le Parlement devra donc bientôt trancher.


MICHEL FELTIN


(1) La langue d’oc ou les langues d’oc ? par Jean Lafitte et Guillem Pépin, Pyrémonde, 216 pages, 19,95 €.

jeudi 7 mai 2009

Ouccitanie ou Ouccitàni ? (Occitania ou Occitània ?)

Depuis plusieurs années, pour traduire « Occitanie » en occitan, la “littérature” occitaniste use de la forme Occitània, accentuée sur le premier a, concurremment à Occitania, accentuée sur le second i, voire de préférence à elle.

De la part d’auteurs si volontiers “normalisateurs”, ce comportement à l’égard du nom même de leur “patrie” peut paraitre bien étrange ; mais surtout, il pose deux questions : quelle est la forme première ? quelle est la meilleure ?

Quelle est la forme première ?

Les attestations les plus anciennes en oc sont à ma connaissance dans les deux exemples donnés par Mistral dans le Tresor dóu Felibrige :

ÓUCITANÌO, ÓUCITANIÉ, (m.), OUCCITANÌO, (l. g.), (b. lat. Occitania, 1370), s. f. Occitanie, nom par lequel les lettrés désignent quelquefois le Midi de la France et en particulier le Languedoc, v. Lengadò, Miejour.

Vitimos de la tirannìo,

Se vènon dins l’Ouccitanìo.

J. A. Peyrottes.

Salut, o bello Oucitanié !

F. Vidal.

Le mot Occitania ou patria linguæ Oc­citanæ est la traduction usitée dans les actes latins des 13e et 14 e siècles pour désigner la province de Languedoc. R. Oucitan.

On a donc là deux formes que la graphie classique occitane note Occitania et Occitaniá, mais pas Occitània.

H. Barthés1 nous donne la graphie d’origine des vers de Jean-Antoine Peyrottes (1813-1858), en précisant qu’ils sont tirés d’un poème composé à la gloire de Riquet lors de l’inauguration de la statue de ce personnage à Béziers en 1838 :

Victimes de la tirannia,

Se venou dins l’Ouccitania […].

Et de commenter :

« C’est la première attestation [en langue d’oc] d’“Occitanie” ou d’un mot de la famille d’“Occitanie”, importés en langue d’oc en 1838.

« C’est un néologisme. Aucun des nombreux dictionnaires ou lexiques de la langue d’oc contemporains de Peyrottes n’a relevé ce mot, absolument inconnu alors. »

De fait, ce poème fut publié avec d’autres de cet auteur, potier de son métier, dans un recueil intitulé Pouésias patouèzas del taralié, Poésies patoises du potier (1840).

Le vers de F[rançois] Vidal (1838-1911) ne peut être que postérieur.

En 1907, Prosper Estieu (1860-1939), fondateur de l’occitanisme avec son ami Antonin Perbosc (1861-1944), publie les Flors d’Occitania.

Dans son Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes (1ère édition 1932-1934, 2ème 1961), Simin Palay donne encore la seule forme Occitanie ; mais c’est un mot savant, « littéraire », comme l’atteste le O- initial, qui, non tonique, serait passé à Ou- dans un mot de formation populaire.

La réédition 1976 de la Gramatica occitana de Louis Alibert comporte, dans l’introduction et là seulement, quatre occurrences de Occitània, mais il n’est pas sûr que cette forme soit dans l’édition originale de 1935, car l’accentuation a été modifiée dans la réédition. Mais je n’ai pu consulter l’édition de 1935.

En tout cas, en 1977, le Pichon diccionnari francés-occitan de J. Taupiac, disciple fidèle d’Alibert, écrit Occitania et ignore Occitània.

Cependant, le Petit dictionnaire français-occitan (Béarn) de Per Noste-La Civada de 1984 offre le choix, dans l’ordre : Occitania, Occitània.

Mais en 1992, le Diccionari de mila mots du même J. Taupiac persiste avec la seule forme Occitania.

Voilà donc pour les dates.

Quelle est la meilleure forme ?

Il faut encore plonger dans l’Histoire et faire un peu de philologie.

Incontestablement Occitania est d’abord latin. Mais le premier à apparaître est l’adjectif occitanus, au féminin, dans l’expression lingua occitana (1306) 2 qui, comme lingua d’oc ou de hoc qui la précède, désigne un territoire, essentiellement celui qui finalement sera la province d’Ancien régime du Languedoc.

Occitania dérive tout naturellement de occitanus comme Hispania de Hispanus etc. Mais les 891 et 568 chartes reproduites dans les tomes X et XII de l’Histoire générale de Languedoc pour les périodes 1271-1442 et 1443-1643, n’en présentent que trois occurrences, sous la forme de Occitanie ; c’est le génitif médiéval qui a remplacé le classique Occitaniae, et il est le complément de nom de partibus (1359), partium (1313) et patria (1443), qui signifient alors « région, province » (cf. Annexe).

En revanche, de 1326 à 1440, le mêmes actes présentent près de 100 occurrences de in partibus Occitanis ou in Occitanis partibus, où Occitanis est l’adjectif qualificatif signifiant « de langue d’oc ».

En tout cas, nous n’avons aucune occurrence de Occitanie seul dans les textes médiévaux, tandis qu’un mot comme Britannia (la Bretagne), par exemple, s’emploie seul, aussi bien que dans l’expression partes Britannie (région de Bretagne). Cette différence de traitement laisse supposer qu’on craignait qu’isolé, Occitania ne serait pas compris, et qu’on estimait prudent de le préciser par partes

Ce n’est qu’en 1617 que Occitania parait seul, ainsi que l’adjectif occitanicus, dans un poème latin placé en tête de la première édition de Le Ramelet moundi du Toulousain Goudoulin, en hom­mage à l’auteur 3; or Ph. Gardy, qui l’a réédité en 1984, précise bien en note (p. 63) que occitanicus « renvoie ici au seul Languedoc ».

Il faudra encore attendre près de deux siècles pour que le Languedocien Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794) traduise l’Occitania latin en français, et le fasse entrer dans le champ littéraire, dans son court roman pastoral Estelle (1788) ; mais il précise bien : « Le Languedoc ou l’Occitanie ».

Cinquante ans plus tard, donc, en 1838, c’est à partir de ce français « Occitanie », accentué sur le second i, que J.-A. Peyrottes, et ensuite d’autres lettrés d’oc, ont fabriqué la forme “occitane” Occitania / Occitanìo.

Il faut néanmoins reconnaitre que la forme Occitània / Ouccitànio / Ouccitàni, accentuée sur le premier a, serait plausible si le mot avait été de formation autochtone et populaire; mais il aurait abouti finalement à Occitanha / Ouccitagno / Ouccitagne, comme en français Bretagne, Espagne, etc.

On voit l’artificialité d’une telle reconstitution historique de formes qui n’ont jamais existé, un peu comme quand le génie génétique rêve de reconstituer un mammouth vivant à partir de l’ADN d’un bébé mammouth femelle que le dégel vient de libérer de 40 000 ans de séjour dans les glaces sibériennes…

Conclusion : du latin administratif au latin littéraire avec Occitania, puis au français littéraire avec Occitanie, on arrive enfin en oc à la forme Ouccitania dans une œuvre littéraire de 1838 ; elle subira ensuite divers avatars orthographiques, mais sans jamais entrer dans l’usage des populations qui parlent une langue d’oc.

Car on ne nomme que ce que l’on connait ou conçoit, et l’on sait qu’« Il n’y a jamais eu d’Occita­nie »4, comme l’a écrit l’historien Henri-Irénée Marrou et redit le linguiste occitaniste Patrick Sauzet.


Annexe : autour des trois attestations du latin Occitanie

1° Sur l’extension de l’« Occitania »

Avec « in partibus Occitanie & Alvernie », la charte n° 472 du 11 décembre 1359 distingue formellement l’Auvergne de l’« Occitanie ».

Quant à la charte n° 805 du 21 octobre 1413, elle distingue la « Langue d’oc » du duché d’Aquitaine : « totaque Lingua Occitana & ducatu Aquitanie »

Enfin, la charte n° 886 du 11 octobre 1443, distingue de ce même duché la « patrie [= le pays] d’oc » : « ad bonum reipublice patrie nostre Occitane & ducatus nostri Aquitanie »

2° Sur le mot latin patria

Dans cette dernière charte n° 886, c’est le roi Charles VII, et non un quelconque habitant des pays d’oc, qui emploie l’expression « patria nostra Occitana ». Tout comme il écrit « ducatus noster Aquitanie », notre duché d’Aquitaine, aussi bien que « patrie nostre Occitane & Aquitanie », nos pays d’oc et d’Aquitaine. Ou encore « sex erunt clerici & sex laici patriarum Linguarum d’Oyls & Occitane », six [conseillers au Parlement] seront clercs et six laïcs, des pays des langues d’Oïl et d’Oc. Ce serait un grave contre-sens de traduire patria par « patrie » avec le sens qu’a aujourd’hui ce mot; tout le contexte montre qu’il ne veut rien dire d’autre que « pays, territoire, région », sans qualification juridique particulière, contrairement à ducatus, duché, ou comitatus, comté.

3° Sur le mot latin respublica

Cette même charte n° 886 emploie par deux fois le mot respublica :

« ut sic respublica in pacis dulcedine & tranquillitatis amenitate, celesti favente clemencia, colletetur. » et « ad bonum reipublice patrie nostre Occitane & ducatus nostri Aquitanie ».

Il a évidemment son sens latin primitif de « chose publique », collectivité humaine envisagée sous l’angle de son gouvernement par les autorités publiques. Ce serait donc encore un grave contre-sens de le traduire par « république » au sens actuel du terme : il n’y eut jamais de « république occitane » ou aquitaine, mais des collectivités humaines que le roi entendait administrer pour le mieux.

1 Études historiques sur la “langue occitane”, St-Geniès-de-Fontedit, 1987, p. 46.

2 Cf. Lafitte (J.) et Pépin (G.), La “Langue d’oc” ou leS langueS d’oc ?, Monein, 2009, p. 32.

3 Cf. Le Ramelet Mondin & autres œuvres, éd. Ph. Gardy, Aix-en-Provence, 1984, p. 29.

4 Esprit, janvier 1975 et Bulletin Institut occitan n° 11, Octobre 1998, éditorial.

Jean Lafitte 9 mai 2009
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