jeudi 8 octobre 2009

Vu de Barcelone : « la famille linguistique occitane »

« Le Cave se rebiffe » titraient un polar de Simenon et un film des années 60. C’est finalement ce qui semble se passer dans le domaine d’oc, lassé du credo occitaniste dont les bases se fissurent. Ainsi, l’unité de la « langue d’oc » ou « langue occitane » est aujourd’hui sérieusement contestée par ceux qui préfèrent considérer qu’il y a plusieurs langues d’oc. Mais comme les occitanistes paraissent assez dépourvus pour répondre sur le fond aux critiques faites à ce credo, ils “tapent en touche” en laissant entendre que les « Caves » sont des proches du Front national, voire en les accusant purement et simplement de fascisme.

Ainsi en fut-il il y a dix ans quand un recteur rappela l’inévitable spécialisation par « dialecte » de l’épreuve d’« occitan » au baccalauréat. L’hebdomadaire occitaniste La Setmana, dirigé par l’actuel président de l’I. E. O. David Grosclaude, eut alors cette réaction rageuse (traduite de l’occitan) :
« L’enfermement institutionnalisé ! Une volonté évidente d’émietter la langue occitane. Cela va dans le sens de quelques idéologues inspirés par une droite dont nous connaissons l’amour pour tout ce qui est “provincial”. Nous revenons à la préhistoire à force de vouloir chasser le mammouth ! » (La Setmana n° 188 du 14 janvier 1999).

Et l’an dernier, une lettre de Jean-Pierre Darrrigrand reprochait au quotidien palois La République d’avoir publ ié un article émanant de l’Institut Béarnais et Gascon ; le numéro des 21-22 juin 2008 de ce journal allait publier des extraits de cette lettre :
« L’Institut Béarnais et Gascon, de création récente, eu égard aux 48 ans d’existence de Per noste dont j’ai été le président, distille des théories linguistiques sans fondement et se distingue par une idéologie d’extrême droite. Je m’étonne de les voir repris par votre journal.
« De grâce cessez d’alimenter et de soutenir une idéologie malsaine […] »
Bien sûr, ce lecteur indigné ne prouvait en rien l’absence de fondement des « théories linguistiques » visées.

Il y a donc de par le monde beaucoup de fascistes qui s’ignorent.
Mais avant de vous en citer quelques uns, je vais écarter les interrogations sur ce que peut signifier « langue », car les débats académiques sur ce sujet sont de peu d’intérêt pratique pour la conservation de nos « parlers ». Je prendrai seulement à témoin Jean-Paul Latrubesse, occitaniste béarnais bien connu et organisateur du concours littéraire des « Calams biarnés 1996 »; comme je le félicitais un jour d’avoir affiché ce concours sous un gros titre « Prose, Poésie, Théâtre en langue gasconne », il me répondit avec bon sens : « “langue” c’est plus valorisant. »
C’est pour être sûrs de ce titre « valorisant » que le lobby occitaniste qui veilla sur la gestation de la loi Deixonne en 1948-49 fit écrire « langue occitane », alors que le breton, le basque ou le catalan n’avaient pas besoin d’être ainsi qualifiés…

Or voilà qu’en 1975, les éditions parisiennes SOCODEL publient un ouvrage scolaire sans aucun engagement militant, l’Initiation au latin 5e de MM. Cousteix, Hinard et Weinberg; or on peut y lire, p. 56, « les langues d’oc ou langues occitanes » avec en exemples des mots provençaux notés en graphie occitane…

Certes, quand après enquête de terrain par le Recteur Jean-Louis Bruch le ministre René Haby osa parler de « langues d’oc » dans sa circulaire du 29 mars 1976, une association occitaniste attaqua cette circulaire pour illégalité… Mais son recours fut rejeté par arrêt du Conseil d’État du 7 octobre 1977, et donc cette expression plurielle validée.
Cependant, quand des « franchimands » ou un ministre de droite écrivent « les langues d’oc ou langues occitanes », on est en droit dans certains milieux d’y voir la main du fascisme abhorré.

Là où les affaires se gâtent, c’est quand les frères catalans de la Généralité de Catalogne s’en mêlent. Il convient de rappeler que les normes orthographiques de l’aranais, ou gascon du Val d’Aran (quelque 9 200 habitants), ont été fixées par un Décret 57/1983 du 14 janvier. Son court préambule précise qu’on a entendu établir ces règles « eu égard à la filiation de l’aranais dans la branche gasconne de la famille linguistique occitane » 1. Le décret est signé par Jordi Pujol, Président de la Généralité, et par ses conseillers à la culture et à l’enseignement. Pour ces autorités catalanes, bien placées pour apprécier les affaires d’oc, l’« occitan » n’est donc pas une langue, mais une « famille linguistique »; en revanche, on ne peut dire si le gascon, « branche » de la famille, est pour elles une langue, dont l’aranais serait une variété locale, ou s’il est une « sous-famille » comprenant la langue aranaise.

Mais peu importe, l’essentiel est dit : l’« occitan » n’est pas une langue, mais une « famille linguistique ».

Et curieusement, dans sa même lettre de juin 2008, Jean-Pierre Darrigrand consacrait explicitement le pluriel des « langues d’oc » : « Militant pour la défense de notre langue, je me réfère à l’occitan comme ensemble des langues d’oc, au titre même que le français l’est aux langues d’oïl. Je parle le gascon du Béarn […] ».
Certes, la comparaison avec le français est boiteuse, ou suppose une conception du français et des langues d’oïl bien différentes de celle des linguistes qui se sont prononcés sur ce sujet, les Pr. Henriette Walter et Bernard Cerquiglini notamment. Mais l’affirmation du « gascon du Béarn » ne laisse aucun doute sur son rang de « langue » pour ce militant.

Mon Dieu ! que de fascistes qui s’ignorent ! Il parait urgent d’instituer une « Santa Inquisicion occitana » pour y mettre bon ordre ! Mais non ! L’ordre étant une valeur de droite et d’extrême-droite, cela n’est même pas envisageable. Alavéts, qué ha ?


1 « de respecte a la filiació de l'aranès dins la branca gascona de la família lingüística occitana » (Diari [Journal] oficial de la Generalitat de Catalunya du 16 mars 1983, pp. 617-620).
2 Alors, que faire ?


Jean Lafitte 7 octobre 2009
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