mardi 24 novembre 2009

Faut-il une loi pour les langues régionales ?

http://www.sudouest.com/accueil/actualite/france/article/772983/mil/5374242.html

Mercredi 18 Novembre 2009

TRIBUNE LIBRE.

Faut-il une loi pour les langues régionales ?

Le 16 octobre, des militants de la langue basque ont eu un entretien avec M. Guillaume Métayer, conseiller de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la communication ; ce fut pour apprendre qu’aucun calendrier n’est prévu pour un projet de loi sur les langues régionales et que le ministère s’interroge même sur son opportunité. Les militants des langues régionales s’en sont fortement émus et certains ont crié au scandale, une telle loi ayant été promise par Mme Albanel, précédent ministre de la Culture, lors d’une déclaration faite le 7 mai 2008 à l’Assemblée nationale. C’est oublier qu’une initiative des députés prise 15 jours plus tard, le 22 mai, a abouti à l’inscription de ces langues dans un article 75-1 nouveau de la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Cela vaut beaucoup plus qu’une loi, comme l’a souligné M. Métayer. Désormais :

- le qualificatif « régionales » enracine chaque langue dans un territoire ;
- le substantif « patrimoine » renvoie à l’histoire de chaque langue héritée des aïeux, comme tout bien patrimonial ;
- la place même de cet article dans le titre XII de la Constitution, relatif aux collectivités territoriales, les désigne d’emblée comme maîtresses d’oeuvre de la conservation de la langue, voire des langues, de leur territoire.

Dès lors, toute la législation relative à l’exercice des compétences générales des collectivités territoriales est applicable à leurs actions au profit de ces langues. D’autre part, l’article 34 de la Constitution limite strictement le domaine de la loi, renvoyant tout le reste au domaine des décrets, pris par le seul gouvernement. Par exemple, on peut imaginer un décret fixant les conditions dans lesquelles seraient déterminés les noms de communes écrits selon la langue locale (recherche dans les écrits anciens, lisibilité à l’époque actuelle en raison de la prononciation moderne, etc.).

Il ne reste donc pas grand-chose qui puisse être mis dans une loi, et l’on comprend que l’État, si facilement accusé de jacobinisme, laisse aux collectivités territoriales toute latitude pour nommer leurs langues historiques et favoriser leur maintien selon les attentes de la population.

Or, ces attentes ont bien été mises en avant par M. Jean-Jacques Lasserre, alors président des Pyrénées-Atlantiques, à la page 6 du dossier Langue occitane joint au numéro de décembre 2003- janvier 2004 de « Lettres d’Aquitaine » : il faut « à la "base", une volonté réellement marquée d’une partie au moins très significative des populations concernées de passer d’un intérêt "passif" pour sa langue régionale (par exemple "l’opinion très positive" exprimée lors des fréquents sondages d’opinion sur le sujet) à un intérêt "actif" (par exemple, l’inscription de ses enfants en filière bilingue lorsque la possibilité en est offerte) assortie d’un soutien concret, rapide et pérenne des collectivités de proximité (communes, intercommunalités...) lorsque cette volonté se manifeste ».

Autrement dit, « aide-toi, le Ciel t’aidera », et l’État lui-même apportera sa contribution, comme il le fait dans d’autres domaines de conservation du patrimoine.

Enfin, s’il faut vraiment une loi, rien n’empêche les députés et sénateurs de la proposer, pour peu que les militants leur suggèrent des dispositions conformes à la Constitution, donc relevant du domaine de la loi selon l’article 34, et ne contrevenant pas à l’article 2 sur le français, langue de la République, et à la jurisprudence qu’en a tirée le Conseil constitutionnel. Rien n’est donc perdu, si les Français de base veulent vraiment garder vivantes les langues de leurs ancêtres.

Jean Lafitte
Docteur en sciences du langage

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Réactions d’un ami et mes réponses :

Par message du vendredi 20 novembre, un ami m’a fait part de son « désaccord à peu près total » sur cette tribune libre. Comme c’est un homme sensé et d’expérience, je suppose qu’il n’est pas le seul à réagir de même, et je dirai même que ses objections me sont venues à l’esprit, avant que je ne les écarte.

Voici donc ses réactions et mes réponses.

« 1) le renvoi de l’État vers les collectivités locales me laisse sceptique pour plusieurs raisons
« – les départements et les régions pourraient se voir
prochainement interdire toute intervention dans ce domaine si elles perdent, comme cela est probable, la “clause de compétences générale”, ce qui les conduira à se limiter à un champ d’interventions étroitement limité.
« – à supposer qu’elles puissent encore agir dans ce domaine, elles vont se voir priver d’une partie de leurs moyens financiers dans les années qui viennent (voir, entre autres, le débat actuel sur la suppression de la taxe professionnelle) et devront se concentrer sur leurs dépenses les plus lourdes (social et routes pour les départements, TER et formation professionnelle pour les régions).

« – surtout, dans un pays comme la France, la langue et la diversité me paraissent être de nature essentiellement étatique. Car la relation entre le pouvoir central et ses régions est une grande question politique. »

Ma tribune libre est le résultat, nécessairement abrégé — c’est la loi du genre — d’une analyse juridique de l’article ajouté à la Constitution et de sa place, analyse que j’ai faite en juriste, car ce fut ma profession avant que mon admission à la retraite me mène à devenir linguiste.

Or selon la Constitution, les langues régionales sont bel et bien dans les attributions des collectivités territoriales — pas seulement « locales » — et l’art. 72 al.2 leur donne « compétence générale » pour ce qui es de leur niveau :
« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. »
La première raison avancée par mon ami se base que sur ce qui pourrait arriver si on modifiait la Constitution. Moi, je travaille sur le texte en vigueur.

La seconde raison porte sur les moyens des collectivités territoriales. Elle est réaliste, mais le déficit de l’État, que l’on dit abyssal, est aussi une réalité.
La troisième raison est philosophique et politique au plus noble sens du terme. Mais je doute qu’elle puisse être opérationnelle sur une matière qui touche tellement à la mentalité des individus; je vais y revenir de suite.

« 2) Il faut à la base une volonté réellement marquée, écrivez-vous.
« Certes, mais celle-ci, faute de combattants, ne peut plus exister aujourd’hui ! Lorsqu’elle s’exprimait au début du siècle dernier, elle a été vigoureusement combattue, notamment à l’école, pour aboutir à la situation actuelle. Il est trop facile aujourd’hui de constater que les troupes sont peu nombreuses et d’en déduire qu’il n’y a pas de demande. Autant exiger des Indiens des Etats-Unis d’être plus nombreux pour prouver qu’ils ont historiquement raison… Seul un très fort volontarisme politique peut retourne
r la situation et faire remonter l’attachement des populations aux langues régionales. L’offre n’ayant pas suivi la demande lorsque celle-ci existait, c’est l’offre qui, désormais, doit précéder la demande. »

D’abord, une petite rectification : c’est Jean-Jacques Lasserre, alors président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques qui a écrit qu’il faut « à la “base”, une volonté réellement marquée d’une partie au moins très significative des populations concernées […] »; je n’ai fait que le citer avec références.

Et une autre rectification plus importante : les locuteurs n’ont jamais manifesté massivement une telle volonté; ce ne fut que la revendication polie de personnes de la moyenne bourgeoisie, pour la plupart bien installées dans le français, qui, romantisme aidant, ont exalté les « patois »; mais au-dessous, les locuteurs se souciaient plutôt de promotion sociale et de progrès, représentés par le français, et au-dessus, les politiques se préoccupaient beaucoup plus de république contre monarchie, d’affaire Dreyfus ou de séparation des Églises et de l’État, et bientôt, hélas, de guerre contre l’Allemagne.

Aujourd’hui, plusieurs raisons m’empêchent de compter sur « un très fort volontarisme politique » :

– je ne vois aucun élu ou responsable politique de niveau national qui soit porteur d’une forte conviction en faveur des langues régionales. En 1981, parmi ses « 110 propositions pour la France », le candidat François Mitterrand avait mis, au n° 56, « La promotion des identités régionale sera encouragée, les langues et cultures minoritaires respectées et enseignées. » C’était suffisamment vague pour pouvoir être tenu… au moins sur le papier, mais ces langues n’ont fait que reculer pendant les 28 ans écoulés depuis. Il est vrai qu’au n° 54, on lisait aussi « Un département du Pays Basque sera créé. »… Ministre de l’Éducation nationale de 1993 à 1997, M. François Bayrou a essayé d’œuvrer au profit de ces langues… mais s’est heurté à la condescendance ironique quand ce ne fut pas à l’hostilité déclarée de son entourage politique et de haute administration; en 2005 lors d’un débat à l’Assemblée nationale, puis en 2007 comme candidat à la présidence de la République, il plaidé pour la ratification de la Charte européenne, pourtant écartée par le Conseil constitutionnel, et la dernière réforme de la Constitution a écarté une fois de plus la possibilité de cette ratification. Quant à son ami Jean Lassalle, pourtant animateur jadis du Festival de Siros, il n’a pas brillé par son éloquence lors des débats de 2008…

– La France est ainsi faite qu’il suffit qu’un projet soit porté par une ferme volonté gouvernementale pour que les Français le dénigrent et le refusent bruyamment. Pensons seulement à la vaccination contre la grippe A… Alors qu’en cette matière, comme l’a bien vu M. Lasserre, l’attente positive des citoyens est essentielle : l’État peut imposer la remise en état d’un château dans une commune héritière de ceux qui mirent les châtelains à la lanterne, il ne peut faire revivre une langue dont la population s’est massivement désintéressée. C’est d’ailleurs le constat des linguistes qui ont étudié les politiques linguistiques à travers le monde.

Ainsi, Georges Mounin, qui fut professeur à Aix-en-Provence, « Discussion - Sur la mort des langues »1, réflexions sur trois publications de 1991-92 relatives aux langues menacées de disparaître dans « le monde entier sauf l’Europe, le monde arabe et l’Afrique dite francophone »; sur le peu de chance de faire revivre les langues abandonnées, p. 193 :

« Retrouver ses racines signifierait revenir au mode de vie de petites communautés rurales, vivant dans l’autarcie quasi totale, en économie fermée, non monétaire, et sans communications multiples, fréquentes et générales, avec l’extérieur. Lorsque cette phase est révolue pour une communauté, le retour en arrière est impossible. […] L’échec quasi total des aides officielles pour essayer de ranimer les langues déclinantes ou de reconquérir les jeunes générations les ayant abandonnées, l’essoufflement rapide (démographiquement) des ensei­gnements volontaristes de ces langues pourtant soutenues, tout cela est patent. »

Comme en écho, voici le point de vue de Louis-Jean Calvet, professeur à la Sorbonne, dans « Vie et mort des langues : les locuteurs décident » 2, (passim) :

« En fait, une politique linguistique ne réussit que lorsqu’elle va dans le sens que la prati­que sociale a esquissée, et ne parvient que rarement à imposer à une population une langue ou une réforme dont elle ne veut pas. On peut donc se demander s’il est possible de défendre (ou de sauver) une langue dont les locuteurs ne veulent plus. Car ce n’est pas alors la langue qui est en cause mais la valeur que ses locuteurs lui attachent. La politique linguistique ne peut pas les ignorer. »

Au demeurant, Les deux quotidiens de Pau du 12 novembre, La République et l’Éclair, m’ont encore fourni matière à réflexion :

– les 2/3 des pages et 3 sont consacrées à une interview de Marcel Amont, avec pour gros titre : « Le béarnais me relie à mon enfance », phrase qui résume ses propos : « Je suis français par la langue et béarnais par le souvenir de mes parents. Quand je parle béarnais, j’ai dix ans. »

– une photo du groupe béarnais Escota si plau, d’Angais, dont le nom en graphie occitane montre leur volonté — les pauvres ! — d’être modernes. Je ne l’ai pas gardée, mais voici celle qu’ils donnent sur leur site, prise à Salzbourg en 2006.


Tous n’ont pas les 80 ans de Marcel Amont ni mes 79, mais on cherche les moins de 40 ans. Et combien maitrisent vraiment le béarnais ?

« 3) Rien n’empêche les députés et les sénateurs de proposer une loi ?
« Mais c’est méconnaître l’équilibre institutionnel entre gouvernement et Parlement sous notre Cinquième République ! Malgré de timides avancées, vous savez comme moi que l’exécutif continue de maîtriser l’ordre du jour. »


C’est tout-à-fait exact. Mais les propositions de loi sur les langues régionales ont d’autant moins de chance d’être débattues que personne n’en a encore proposé, et que les Parlementaires se sont contentés de demander au Gouvernement de présenter un projet. En fait, le personnel politique joue au chat et à la souris, car aucun n’a vraiment d’idées réalistes pour proposer noir sur blanc quelque chose de concret.

4) "Enfin, je trouve tactiquement maladroit de s’opposer à une loi. Je crains que les "occitanistes" n’en prennent prétexte pour dévaloriser le fond de votre combat — que je partage — sur la diversité des langues d’oc. Cela n’a certes rien à voir, mais la malhonnêteté intellectuelle, en cette matière, ne peut être exclue..."


C’est “presque” tout-à-fait exact.
“presque”, car je ne m’oppose pas du tout à une loi; après avoir constaté que l’article ajouté à la Constitution ouvre de large perspectives juridiques à nos langues, j’ai simplement estimé qu’« Il ne reste […] pas grand-chose qui puisse être mis dans une loi […] ». Et j’ai conclu que les Parlementaires peuvent toujours déposer des propositions de loi, ce que mon ami trouve peu réaliste. Mais je me suis placé sur le plan du droit.

En réalité, ceux qui réclament une loi attendent de l’argent, pas des pages de Journal officiel. Or je n’ai personnellement aucune raison d’espérer que le Gouverne­ment ou le Parlement, actuels ou d’alternance éventuelle, soient prêts à endetter encore plus la France pour des actions dont le résultat est rien moins que garanti.
Car l’argent mis à poser des panneaux routiers écrits à l’occitane, ou même à la mode du Félibrige, ou des « Bona annada » sur les abribus ne crée pas un locuteur de plus dans le pays !

Les occitanistes honnêtes — il y en a encore, Dieu merci — le savent aussi bien que moi. Si l’on veut vraiment faire quelque chose pour nos langues, la première qui ne coutera pas un centime au contribuable, c’est de se rencontrer entre les différents courants et de mettre les choses à plat, en terme d’efficacité et de réception par la population, pas d’idéologie, quelle qu’elle soit.

C’est ma conviction, je l’affiche, et fais confiance à l’intelligence et à l’honnêteté de tous…

Hèt beroy !

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1 La Linguistique, vol. 28, fasc. 2, 1992, pp. 149-157; cité d’après sa reprise dans Walter (H.) et Feuillard (C.), Dir., Pour une linguistique des langues, Paris : Puf, 2006, pp. 181-196.

2 Le Courrier de l’UNESCO, Avril 2000 – Dossier Guerre et paix des langues.
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