Depuis le XIIe s. où apparaissent les premières chartes gasconnes et jusque vers 1950, la langue gasconne s’est écrite de manière à représenter au mieux la prononciation du temps au moyen des seuls signes disponibles, les lettres de l’alphabet latin. Ce n’était pas toujours évident, du fait de sons nouveaux que ne connaissait pas le latin classique. Mais toutes les études faites depuis un siècle et spécialement dans les soixante dernières années concluent au primat de cette notation phonétique, avec peu de considérations pour l’étymologie, c’est-à-dire pour l’orthographe des mots latins d’où venaient les mots gascons, comme ceux des autres langues romanes.
Certes, quand après 1453 pour la Gascogne proprement dite et après 1620 pour le Béarn, l’administration s’est faite en français, privant la langue gasconne du domaine de l’écriture officielle et donc de la régulation orthographique qui en découle. Mais quoi qu’on en ait dit, si l’orthographe a changé sur certains points, ce n’était pas nécessairement pour s’aligner sur le français dominant, mais parce que la prononciation évoluait, comme dans toute langue vivante.
C’est ainsi le cas du passage de « o fermé » à ou, par exemple de tot, o et lo à tout, ou et lou : au XVIe s., nous avons le témoignage de Pèy de Garros et d’Arnaud de Salette, tous deux traducteurs des Psaumes; l’un et l’autre écrivent tout et ou, mais lo; cela signifie que tot et o prononcés par o fermé aux siècles précédents, sont déjà passés à tout et ou alors que lo est inchangé. Cette orthographe en ou est certes celle du français, mais tout simplement parce que français et langues d’oc connaissent la même évolution phonétique, qui va s’étaler sur plusieurs siècles, et qu’ayant à écrire ce que l’alphabet phonétique note [o, u, y], la combinaison ou ajoutée à o et u permet de noter les trois sons; pour un même problème, ignoré de l’espagnol et du catalan, l’allemand a une autre solution, o, u et ü.
Mais revenons à lo : cent ans après Salette, l’avocat béarnais Jean-Henri de Fondeville écrit lou, signe que l’article a basculé en ou à son tour. Mais il écrit hou (il fut) et hon (ils furent), ce dernier passant à houn beaucoup plus tard. Aujourd’hui encore, si Orthez dit que souy (je suis), l’Est du Béarn et la Bigorre disent que soy, avec un o fermé.
Autre exemple, l’aboutissement du a latin en syllabe finale non accentuée. Dans l’Ouest gascon, il est passé très tôt à un son voisin du e final dit muet en français, mais que les gens du Midi prononcent encore. Les anciens textes de cet Ouest en témoigne; en voici deux exemples :
– règlement municipal de Bayonne du 3 avril 1322 sur la taxe des vins entreposés (Livre des Établissements de Bayonne, 1892, p. 75) :
E FO establit pou maire e pous cent pars e per comunau cridat a le claustre, que todz hom o femne qui auberguera bins en son hostau de nulh homi o femne que lo seinhor o le daune de l'ostau, ne paguie v sols a le biele de morlans dou tonet e iij sols de le pipe dedans le biele de Baione ni hius borgs ni au Cap dou pont.
– extrait d’un acte de vente d’une terre à Saint-Médard, du 9 novembre 1399 (Arch. dép. Landes, II, 3, 09. — Orig. parch. 30/24 cm, édité par Georges Millardet, 1908, p. 109) :
Notum sit que Peyron de Bordos, […] ha benut, alienat, leissat, quitat, gurpit, autreiat, renunciat e desemparat, e, - per nom de beraye e pure bende e alienation no reuoquedere en bite ni en mort ab la auctoritat d-aqueste carte -, liurat a Johan de P. Casso vezin de la medisse viele aqui present, crompant, stipulant […], tote aquere binhe, tere e guarrigue que.l dit Ar. Guill. s-aue crompade de Guill. R. de Sent-Andriu etc.
Cette notation par e correspondant à la prononciation d’Orthez, capitale de la vicomté de Béarn, est de fait celle de tous les documents médiévaux du Béarn; par exemple, l’article 33 du For général (Fors anciens de Béarn, éd. P. Ourliac et M. Gilles, 1990, p. 160) :
Item, audides las arrasons deu senhor de une part, que cum las gens de la terre d'Ossau en lo temps passat sien exides d'Ossau ab armes et ost feyte et ensenhe desplegat en lo Pont-lonc et en auguns autes locx de la terre de Bearn et aqui cometut trops et divers exces, cum son mortz, plagues, arsies, per losquoals lo eren tengutz de dar thiansers tant per lo lor foo quant per la generau costume de Bearn, etc.
Du Béarn, elle s’est même étendue aux territoires relevant ou ayant relevé du Vicomte. Voici par exemple quelques lignes des Coutumes de Bagnères octroyées en 1171 par Centulle III comte de Bigorre, d’après le recueil d’Achille Luchaire (1881) :
Conogude cause sia à totz homes e femnes presentz e abieders, que nos Centod, per la gracie de Dieu comte de Begorre, sufertes mantes bergonhes e grans dampnages el comptat de Begorre per nostres frontaders Nauars, Teesiis, Bascos, Aragones, que aucunes begades entrauen el comptad de Begorre poderosementz, e arcebudz aucuns laugs fortz que fazen grans mals en la terre de Begorre; etc.
Mais au XVIe s., le centre du pouvoir s’est déplacé à Pau et la prononciation de ce a latin y est encore a : Arnaud de Salette écrit maynada, cabana etc.; et soucieux d’une bonne prononciation de ses Psaumes par des pasteurs venus de France, il veut leur indiquer la prononciation de ce a final non accentué; mais comme il n’a pas d’exemple français à leur donner, il a recours à l’espagnol señora. Du reste, telle est encore la prononciation de Nay et Pontacq, comme du Val d’Azun en Bigorre.
Ce déplacement du centre du pouvoir explique la généralisation de ces a dans les textes officiels du XVIe s. comme les Fors e costumas de Bearn d’Henri II d’Albret (1551). Mais cela n’ira pas plus loin, la vieille notation par e étant dominante dans tous les écrits postérieurs, comme le Catéchisme a l’usadge deu diocese d’Aulourou (1706).
C’est celle que consacreront Lespy dans son Dictionnaire béarnais ancien et moderne (1887) puis les normes orthographiques de l’Escole Gastoû Febus élaborées en 1900 par le professeur d’université Édouard Bourciez, romaniste de renommée mondiale.
C’est encore celle de l’irremplaçable Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes de Simin Palay édité par le C.N.R.S. – excusez du peu ! – et de l’ouvrage posthume de Pierre Rectoran édité en 1996 avec le concours du Département des Pyrénées Atlantiques, Le Gascon maritime de Bayonne et du Val d’Adour.
Tout aurait pu demeurer pour le mieux dans le meilleur des mondes si celui du Félibrige n’avait vu naitre sur la fin du XIXe s. une contestation languedocienne de l’hégémonie accordée par Frédéric Mistral à sa langue provençale.
C’est ainsi le cas du passage de « o fermé » à ou, par exemple de tot, o et lo à tout, ou et lou : au XVIe s., nous avons le témoignage de Pèy de Garros et d’Arnaud de Salette, tous deux traducteurs des Psaumes; l’un et l’autre écrivent tout et ou, mais lo; cela signifie que tot et o prononcés par o fermé aux siècles précédents, sont déjà passés à tout et ou alors que lo est inchangé. Cette orthographe en ou est certes celle du français, mais tout simplement parce que français et langues d’oc connaissent la même évolution phonétique, qui va s’étaler sur plusieurs siècles, et qu’ayant à écrire ce que l’alphabet phonétique note [o, u, y], la combinaison ou ajoutée à o et u permet de noter les trois sons; pour un même problème, ignoré de l’espagnol et du catalan, l’allemand a une autre solution, o, u et ü.
Mais revenons à lo : cent ans après Salette, l’avocat béarnais Jean-Henri de Fondeville écrit lou, signe que l’article a basculé en ou à son tour. Mais il écrit hou (il fut) et hon (ils furent), ce dernier passant à houn beaucoup plus tard. Aujourd’hui encore, si Orthez dit que souy (je suis), l’Est du Béarn et la Bigorre disent que soy, avec un o fermé.
Autre exemple, l’aboutissement du a latin en syllabe finale non accentuée. Dans l’Ouest gascon, il est passé très tôt à un son voisin du e final dit muet en français, mais que les gens du Midi prononcent encore. Les anciens textes de cet Ouest en témoigne; en voici deux exemples :
– règlement municipal de Bayonne du 3 avril 1322 sur la taxe des vins entreposés (Livre des Établissements de Bayonne, 1892, p. 75) :
E FO establit pou maire e pous cent pars e per comunau cridat a le claustre, que todz hom o femne qui auberguera bins en son hostau de nulh homi o femne que lo seinhor o le daune de l'ostau, ne paguie v sols a le biele de morlans dou tonet e iij sols de le pipe dedans le biele de Baione ni hius borgs ni au Cap dou pont.
– extrait d’un acte de vente d’une terre à Saint-Médard, du 9 novembre 1399 (Arch. dép. Landes, II, 3, 09. — Orig. parch. 30/24 cm, édité par Georges Millardet, 1908, p. 109) :
Notum sit que Peyron de Bordos, […] ha benut, alienat, leissat, quitat, gurpit, autreiat, renunciat e desemparat, e, - per nom de beraye e pure bende e alienation no reuoquedere en bite ni en mort ab la auctoritat d-aqueste carte -, liurat a Johan de P. Casso vezin de la medisse viele aqui present, crompant, stipulant […], tote aquere binhe, tere e guarrigue que.l dit Ar. Guill. s-aue crompade de Guill. R. de Sent-Andriu etc.
Cette notation par e correspondant à la prononciation d’Orthez, capitale de la vicomté de Béarn, est de fait celle de tous les documents médiévaux du Béarn; par exemple, l’article 33 du For général (Fors anciens de Béarn, éd. P. Ourliac et M. Gilles, 1990, p. 160) :
Item, audides las arrasons deu senhor de une part, que cum las gens de la terre d'Ossau en lo temps passat sien exides d'Ossau ab armes et ost feyte et ensenhe desplegat en lo Pont-lonc et en auguns autes locx de la terre de Bearn et aqui cometut trops et divers exces, cum son mortz, plagues, arsies, per losquoals lo eren tengutz de dar thiansers tant per lo lor foo quant per la generau costume de Bearn, etc.
Du Béarn, elle s’est même étendue aux territoires relevant ou ayant relevé du Vicomte. Voici par exemple quelques lignes des Coutumes de Bagnères octroyées en 1171 par Centulle III comte de Bigorre, d’après le recueil d’Achille Luchaire (1881) :
Conogude cause sia à totz homes e femnes presentz e abieders, que nos Centod, per la gracie de Dieu comte de Begorre, sufertes mantes bergonhes e grans dampnages el comptat de Begorre per nostres frontaders Nauars, Teesiis, Bascos, Aragones, que aucunes begades entrauen el comptad de Begorre poderosementz, e arcebudz aucuns laugs fortz que fazen grans mals en la terre de Begorre; etc.
Mais au XVIe s., le centre du pouvoir s’est déplacé à Pau et la prononciation de ce a latin y est encore a : Arnaud de Salette écrit maynada, cabana etc.; et soucieux d’une bonne prononciation de ses Psaumes par des pasteurs venus de France, il veut leur indiquer la prononciation de ce a final non accentué; mais comme il n’a pas d’exemple français à leur donner, il a recours à l’espagnol señora. Du reste, telle est encore la prononciation de Nay et Pontacq, comme du Val d’Azun en Bigorre.
Ce déplacement du centre du pouvoir explique la généralisation de ces a dans les textes officiels du XVIe s. comme les Fors e costumas de Bearn d’Henri II d’Albret (1551). Mais cela n’ira pas plus loin, la vieille notation par e étant dominante dans tous les écrits postérieurs, comme le Catéchisme a l’usadge deu diocese d’Aulourou (1706).
C’est celle que consacreront Lespy dans son Dictionnaire béarnais ancien et moderne (1887) puis les normes orthographiques de l’Escole Gastoû Febus élaborées en 1900 par le professeur d’université Édouard Bourciez, romaniste de renommée mondiale.
C’est encore celle de l’irremplaçable Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes de Simin Palay édité par le C.N.R.S. – excusez du peu ! – et de l’ouvrage posthume de Pierre Rectoran édité en 1996 avec le concours du Département des Pyrénées Atlantiques, Le Gascon maritime de Bayonne et du Val d’Adour.
Tout aurait pu demeurer pour le mieux dans le meilleur des mondes si celui du Félibrige n’avait vu naitre sur la fin du XIXe s. une contestation languedocienne de l’hégémonie accordée par Frédéric Mistral à sa langue provençale.
L’initative vint cependant du Limousin où un prêtre félibre, l’abbé Joseph Roux, séduit par la mémoire des Troubadours dont beaucoup venaient du Limousin, imagina de revenir au système d’écriture des manuscrits de leurs œuvres, comme si la langue n’avait que peu changé en 700 ans. Deux instituteurs languedociens, Antonin Perbosc et Posper Estieu, trouvèrent l’idée à leur gout, comme un moyen de concurrencer l’action de Mistral.
Mais ils basèrent leur système sur la Grammaire de Raynouard (1816) pour laquelle la langue dite des Troubadours et son orthographe étaient unifiées, thèse déjà périmée à la fin du XIXe s. Tout aussi peu soucieux que l’abbé Roux de l’écart qu’ils créaient ainsi entre la langue écrite comme au Moyen Âge et celle parlée de leur temps, ils amorcèrent ainsi un mouvement qui deviendrait l’occitanisme quelque 40 ou 50 ans plus tard.
Mais le grand-prêtre du système orthographique occitan allait être le pharmacien audois Louis Alibert (1884-1959), d’une culture évidemment supérieure à celle de ces instituteurs qu’il méprisait. Pourtant, il avait publié en 1923 un opuscule sur l’orthographe du languedocien selon le système mistralien, où il faisait siennes les intentions de Perbosc lui-même dont il citait un passage de la préface à ses Contes populaires de la vallée du Lambon (1914, p. XIV) :
« Quant à la graphie employée, c’est la graphie traditionnelle de la langue d’oc, présentée ici sous la forme usuelle adoptée aujourd’hui par la plupart des félibres languedociens et gascons. Elle ne constitue qu’une demi-restauration, mais elle a l’avantage d’être facilement intelligible pour tous les lecteurs. »
Ce bon sens n’allait pas durer, et converti au système médiéval, Alibert allait écrire sa célèbre Gramatica occitana du languedocien (1935) dont la première partie traite de la graphie. Et la Société d’études occitanes fondée en 1930, puis l’ Institut d’études occitanes (I.E.O.) qui lui succéda en 1945 firent de cette Gramatica leur “évangile” linguistique. Et ce mot “évangile” n’est pas exagéré, comme on va le voir pour le « dogme » de M. Grosclaude.
Même le professeur d’université Pierre Bec, alors président de l’I.E.O., n’a pu se résoudre à le mettre en doute dans son très sérieux Manuel pratique de philologie romane (1970) : suivant sa méthode, il étudie les diverses langues romanes à partir de textes dont il commente certains mots ou expressions présentant un intérêt philologique; il en est ainsi du gascon, étudié comme langue distincte de l’occitan et du catalan, à partir de 81 vers de la Vème Églogue de Pèy de Garros (1567); or on y lit la conjonction ou au vers 40 et l’adverbe prou au vers 77, honnêtement transcrits, certes, mais sans la moindre remarque, alors que l’auteur note la prononciation en [u] (donc « ou » français) des mots pastó (v. 28), volés (v. 33) etc. Au vu de ces deux séries de mots notés différemment par un auteur réputé pour l’intelligence et le sérieux de sa graphie, P. Bec aurait dû laisser en [o] pastó et volés, et faire observer que ou et prou se prononçaient par [u]. Mais cela aurait sérieusement lézardé l’édifice de la graphie occitane… et le professeur s’est exposé à être pris en flagrant délit de mensonge par omission !
Malheureusement pour le gascon, quand vers 1960 des Béarnais cap et tout réunis autour du regretté Roger Lapassade, professeur à Orthez, ont voulu le faire profiter de la loi Deixonne de 1951 sur l’enseignement des langues et dialectes locaux, l’ Escole Gastoû Febus était en déclin, surtout du fait du vieillissement de ses cadres. Lapassade et ses amis crurent alors trouver la voie dans les théories et outils pédagogiques de l’I.E.O. toulousain. Or le Lycée d’Orthez avait accueilli depuis peu un jeune professeur certifié de philosophie, muté de Touraine, Michel Grosclaude; fin 1969, il confiait à la revue Per noste qu’ignorant alors tout du béarnais, il avait découvert que le « patois » local « était la Langue d’oc » et que « le Latin jadis appris sur les bancs du Lycée chantait encore sur les lèvres des anciens des villages. » Il est vraisemblable que la graphie archaïque de l’I.E.O. le séduisit avec tous ses -a en finale féminine (au lieu de rose, rosa, comme en latin !); il est certain en tout cas qu’il prit en main l’introduction de cette graphie en Béarn, par le biais de l’enseignement, et en rupture avec une tradition dont il n’avait pas mesuré la qualité, la force et la continuité. Il écarta toute contestation, donc toute réflexion, et il imposa cette graphie avec une telle assurance qu’à son décès en 2002, une chronique allait noter que pour lui, « la graphie occitaniste était un dogme auquel il ne dérogea jamais. »
Le résultat, hélas, est une graphie archaïque et élitiste que sa complexité rend difficile à enseigner et inaccessible au commun des locuteurs. C’est ainsi que dans les deux dernières années de sa vie, Roger Lapassade travaillait avec Marilis Orionaa à traduire ses poèmes en français pour les rendre lisibles au plus grand nombre.
Tandis que c’est en graphie moderne de l’ Escole Gastoû Febus que sont écrits les chefs-d’œuvres des Félibres dont l’occitaniste Gilbert Narioo a expressément recommandé la lecture aux jeunes générations (País gascons n° 221, Avril 2004, p. 12).
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