Obtenir une signalisation routière et urbaine en langues régionales est une revendication récurrente des mouvements en faveur de ces langues. Cela s’est traduit surtout par l’introduction des noms de communes sur les panneaux d’entrée d’agglomération, d’abord sporadique, mais en progression.
Il n’y aurait pas là matière à épiloguer s’il ne s’agissait que de remettre en honneur des
formes anciennes de ces noms, tout comme lorsqu’on réhabilite un château féodal ou qu’on organise une fête costumée à la mode du moyen âge, ou même simplement du XIXe s. Mais il se trouve que pour plus d’un mouvement de défense des langues régionales, cet aspect linguistique et culturel n’est que le paravent d’une revendication politique qui va de l’autonomie administrative dans une France fédérale à l’indépendance pure et simple. Si l’on y ajoute les visées expansionnistes de certains mouvements qui, indépendantistes pour leur « langue », sont farouchement opposés à la reconnaissance de divisions linguistiques en son sein, avec à la clé un désaccord profond sur les noms des lieux à afficher, ou seulement la façon de les écrire, le sujet devient extrêmement conflictuel.
Or depuis peu, le landerneau des militants des langues régionales résonne bruyamment à la suite d’un jugement du Tribunal administratif de Montpellier qui a prescrit à Villeneuvelès-Maguelone, commune de l’agglomération montpelliéraine, d’enlever son nom « occitan » des panneaux d’agglomération règlementés par le Code de la route et ses textes d’application. Les invectives pleuvent, et cela me fait penser à des enfants qui vont se battre : on discute, puis quand on est à court d’arguments, on s’injurie, et quand on a épuisé le stock d’injures, on en vient aux coups. Pour le moment, Dieu merci ! on n’en est pas à ce dernier stade ; mais on y va, quand, dans un message adressé à un adversaire, un professeur d’occitan qualifie cet adversaire ou son action par « con » (2 fois), « imbécile / imbécilité » (4 fois), « fasciste » (2 fois) et «merde » (1 fois) ; et ce professeur n’est pas un jeune tout fou, il a passé la cinquantaine et enseigne dans un Institut universitaire de formation des maitres (I.U.F.M.).
Or tout cette passion haineuse est l’aboutissement d’une désinformation distillée depuis des années par le mouvement occitaniste, qui a investi l’Éducation nationale, comme on vient d’en avoir un exemple : la République avait arrangé l’Histoire de France à sa façon pour former de bons citoyens, l’occitanisme, après le lui avoir justement reproché, pratique sans vergogne la même réécriture de l’histoire.
Pour illustrer ce propos, voici un extrait d’un commentaire du jugement de Montpellier affiché aujourd’hui même à 9h 09, par un anonyme qui signe « devoir de réserve », sur le site
internet de La Gazette des communes, des départements, des régions :
« Apparemment, Simon de Montfort et sa bande de fanatiques anti-cathares n’ont pas fini leur croisade au bout de huit siècles ! A quand le bûcher en place publique pour les panneaux indicateurs mal-pensants ?
« Jadis, c’était au nom du Roi et de la sainte religion. Aujourd’hui, c’est pire, c’est au nom de la République et du Peuple Français.
[…]
« Ce qui me surprend le plus, quand je suis en vacances en Occitanie (Languedoc et Midi- Pyrénées) c’est de constater l’absence de rancoeur historique (en général) et l’adhésion forte à notre nation républicaine, en dépit des horreurs monstrueuses de la croisade de conquête du XIIIème siècle et de la liquidation organisée et continue de la culture d’Oc qui a suivi. »
Le reste du propos est modéré et a toutes les apparences de la raison. Mais il est remarquable que depuis un siècle maintenant, les occitanistes ont exhumé la Croisade albigeoise des années 1209 et suivantes pour créer de toutes pièces une haine du Midi à l’égard du Nord, alors même que l’intervenant reconnait qu’elle n’existe absolument pas dans la population.
Au début, c’était d’abord le fait de deux instituteurs anti-cléricaux, les « pères » de l’occitanisme, en un temps où le combat anti-clérical était à l’ordre du jour, pour mener à la loi de séparation des églises et de l’État en 1905. Aujourd’hui, cela ressemble à une vieille soupe réchauffée… En tout cas, si l’on condamne avec raison les massacres de l’époque — il y eut des massacreurs dans les deux camps — on tait pudiquement celui de la population de Béziers en 1169, à l’instigation du Vicomte de la ville Roger Trencavel, qui vengeait son père assassiné par ses sujets deux ans avant ; et cela 40 ans avant le massacre par les soudards de l’armée croisée, qui se vengeaient des injures que leur avaient lancées les habitants ! Les moeurs étaient rudes, mais les massacres des dernières décennies survenus dans le monde, Europe comprise, nous obligent à beaucoup de modestie dans nos condamnations du passé !
Ce faits rappelés, j’estime qu’au delà des réactions émotionnelles, il faut étudier posément les données du problème. Et nous verrons vite que c’est un faux problème.
Car lorsque l’on entend remettre en honneur les noms authentiques de nos villes et autres lieux du Midi, il faut se poser la question qui sert de titre à cette étude : La France a-t-elle dénaturé les noms de lieux des Pays d’oc ? C’était déjà le titre d’un court article de ma revue Ligam-DiGaM d’octobre 2006, article que j’actualise et développe quelque peu.
Mais avant d’entrer dans le détail du sujet, je vais me faire provocateur : où, dans l’Histoire, a-t-on jamais vu le nom d’« Occitanie » appliqué à l’ensemble des pays d’oc ? Nulle part, avant l’aventure occitaniste débutée peu avant 1900. Sans remonter au moyen âge, pour le rédacteur de l’article Occitania de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert (1765), c’était un mot de « Géog. anc. », « le nom que quelques auteurs du moyen âge ont donné à la province du Languedoc » ; il figurait alors, depuis 1634, dans l’inscription latine des jetons frappés par les États du Languedoc. C’est bien ce qu’a compris l’intervenant déjà cité :
« quand je suis en vacances en Occitanie (Languedoc et Midi-Pyrénées) », à ceci près que la région Midi-Pyrénées a englobé des terres de la Gascogne, jamais comprises dans la province
du Languedoc (principalement à l’ouest de la Garonne). Mais aujourd’hui, les occitanistes l’ont oublié et sont encore plus intransigeants sur l’étendue de la prétendue « Occitanie » que peuvent l’être les « Jacobins » les plus attentifs à l’unité de la France.
La même imposture va se retrouver au niveau des toponymes de terrain. Honnête, ou tellement sûr de sa thèse qu’il n’imaginait pas qu’on pût en douter, l’occitaniste militant que fut M. Michel Grosclaude (1926-2002) l’a énoncée noir sur blanc dans l’Introduction à son Dictionnaire toponymique des communes du Béarn (1991) ; mais il l’a fait en deux temps :
- p. 20 (les gras sont de moi) : « Un des objectifs qui a motivé ce travail était de proposer une orthographe béarnaise correcte des toponymes béarnais. »
- p. 30 : « Ce que nous appelons “orthographe béarnaise correcte”, c’est ce que certains ont appelé “orthographe classique”, d’autres “orthographe normalisée”, d’autres encore “orthographe de l’Institut [d’]Etudes Occitanes”, d’autres enfin “orthographe alibertienne” du nom du grammairien [Louis Alibert] qui en fut le principal initiateur. »
Malgré l’avis de tous les linguistes qui se sont penchés sur le gascon et y ont vu une langue distincte de l’« occitan », M. Grosclaude annexe donc le Béarn, terre gasconne, à la prétendue « Occitanie » que caractérise la « langue occitane », et déclare comme « orthographe béarnaise correcte » celle qu’a définie l’Institut d’Études Occitanes (I.E.O.), association privée fondée à Toulouse en 1945. Tout l’écrit béarnais ancien passe à la trappe, ou n’est pris en compte que s’il est conforme aux normes occitanes de la seconde moitié du XXe s. ! Et pour mieux tromper le lecteur confiant, cet auteur appelle « Orthographe restituée » l’orthographe occitane qu’il choisit pour chaque commune. Peut-être ramené à plus d’honnêteté par les élus des Hautes-Pyrénées qui lui avaient confié la charge d’achever le Dictionnaire toponymique de ce département, il a intitulé « Orthographe occitane » la rubrique correspondante de ce dictionnaire publié en 2001.
En tout cas, l’adjectif « restituée » suppose
- 1° que cette graphie occitane était la graphie béarnaise authentique des origines
- et 2° que l’administration française l’a dénaturée.
Et c’est ici que j’arrive au cœur de mon sujet. À ma connaissance, en effet, il n’y a jamais eu de politique centralisée de « francisation » des toponymes ; il suffit de voir la carte des
villes et villages des différentes régions pour constater la grande variété des structures et sonorités de tous les noms, de Dunkerque à Perpignan et de Ploudalmézeau à Schiltigheim. Tout au plus y a-t-il eu une adaptation de l’orthographe aux règles du français, mais ce fut à l’initiative des lettrés locaux, qui avaient à introduire des noms de lieux ou de personnes dans leurs écrits en français, qui furent d’abord des actes notariés ou administratifs.
Ce n’est que lorsque fut institutionnalisé l’état-civil, pour les personnes, et que furent dressées des cartes générales, pour les lieux, que ces graphies locales furent en quelque sorte figées par le sceau de l’officialité. D’où la remarque d’Albert Dauzat rapportée par J.-P. Chambon (Revue de linguistique romane n° 275-276 de Juil.-Déc. 2005, p. 478, note 105) : la forme officielle française est souvent « plus archaïque que celle des patois » (Les noms de lieux. Origine et évolution, 1928, p. 80).
Je n’en voudrai comme preuve que les Pauilhac (Gers), Pauillac (Gironde), Paulhac (Cantal, Hte-Garonne, Hte-Loire et Lozère) et Paulhiac (Lot-et-Garonne), tous phonétiquement identiques, mais notés selon les habitudes locales qui étaient déjà diverses au sein même des idiomes d’oc.
Autre exemple pour le son [ʃ], que l’ancien gascon notait par x, comme l’ancien castillan (Don Quixote, México…), le catalan et le portugais anciens et modernes, et même le basque qui l’a emprunté au gascon. Dans sa Gramatica occitana pour le languedocien, le pharmacien Louis Alibert, référence de M. Groslaude, est parti du modèle catalan, mais a mis ce x parmi « les graphies spécifiquement catalanes » qu’il écartait pour se rapprocher des « procédés auxquels nos sommes habitués depuis l’école », école française, évidemment ; finalement, pour le gascon, il a adopté sh, rare dans les anciens écrits, quasi inconnu en Béarn. Or nous avons Auch, chef-lieu du Gers, qui s’écrivait jadis Aux ; c’est si peu l’administration française qui l’a changé qu’à 35 km, le village d’Aux-Aussat s’écrit toujours ainsi. Et ne parlons pas de Foix et Mirepoix dont la France réputée « jacobine » a respecté et officialisé les graphies autochtones, alors que les occitanistes les “normalisent” en Foish et Mirepoish…
On a même pu lire dans la revue occitaniste de Béarn Per noste (n° 56, 9-10/1976, p. 9) que l’antique nom de Baigts(-de-Béarn) est une « grafia deu cadastre franchiman », avec tout ce que « franchiman » peut avoir de péjoratif, et que sa forme normalisée est « Vath », alors qu’on n’en trouve rien d’approchant dans les écrits anciens.
Si l’on sort de Gascogne, Toulouse a été figé avec deux ou correpondant à une prononciation locale apparue au XVIIe s., alors que Carcassonne l’a été avec o, le passage au son [u] s’étant fait ultérieurement. C’est encore plus net pour Toulon, que les anciens textes notaient Tolon ; le nom a été figée à une époque où le premier o était passé à [u], alors que le second restait [o] plus ou moins nasalisé.
Est aussi intéressant le cas de Robion (Vaucluse), à rapprocher du Roubion, affluent du Rhône à hauteur de Montélimar, et aussi commune du nord des Alpes-Maritimes. Mistral les écrit tous Roubioun, donc tous trois prononcés en “ou”. Ces deux graphies « françaises » ne font que témoigner d’un décalage dans le temps de leur prise en compte par l’administration.
Ma conclusion est simple : les noms « officiels » ne sont pas des « noms français », mais des noms autochtones écrits par des lettrés du pays selon les conventions d’écriture de leur temps et de leur endroit, soit héritées du passé, soit venues de la pratique française, mais toujours pour refléter au mieux la prononciation du temps et du lieu. Le hasard de la fixation dans le temps de ces graphies aboutit à la disparité que l’on voit, flagrante, dans les Pauillac et autres, et qui est la preuve non moins flagrante de l’absence totale de volonté unificatrice de la part du pouvoir central de la France.
S’il y a une telle volonté aujourd’hui, elle vient de ceux qui prétendent imposer un « occitan » convenu entre eux, et bien loin de l’histoire du pays et de sa langue, tout comme de l’attente des derniers locuteurs naturels. Mais ils n’en ont que faire, leur but réel est d’imprimer leur marque sur le paysage pour préparer les esprits à un éclatement de la France.
Déjà, le 24 avril 2007, à Toulouse, « M. Revest, Premier Ministre » proclamait « l’existence d’un Gouvernement Provisoire pour une République Fédérale et Démocratique d’Occitanie ». Et la carte que chacun peut voir sur le site de ce « Gouvernement Provisoire » http://gpo.identitat-doc.net/ ne laisse aucun doute sur ses intentions : France au nord, « Occitanie » au sud.
Et en cette année même 2010, pour la campagne des élections régionales, M. David Grosclaude, le fils de Michel, élu depuis, en a fait aussi sa profession de foi, puisque son site officiel, patronné par Régions et peuples solidaires http://r-p-s.info/+-David-Grosclaude-+, affiche la carte ci-dessous.
Puissent nos élus républicains en prendre conscience !
Jean Lafitte 29 octobre 2010
Docteur en sciences du langage
Docteur en sciences du langage
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